
Méditations
préparatoires à la Grande Passion du Christ

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Hérode et Pilate
Un
pauvre homme, un pauvre fou !
Le
Sanhédrin a donc décidé: cet homme, Jésus, doit mourir. Mais il est tard
maintenant, et le procès ne peut plus continuer durant la nuit: c’est la Loi.
On laisse donc Jésus entre les mains d’infâmes bourreaux, qui, fatigués après
s’être bien amusés aux dépens de Celui qui n’est pas encore un condamné,
le jettent dans un ignoble cachot.
Voici
les premières lueurs de l’aube du Sabbath solennel: la grande Pâque juive. Jésus
est toujours dans le cachot où Il a été enfermé par ses bourreaux, fatigués
de Le tourmenter. Il prie et Il pleure. Mais maintenant c’est l’aube et les
docteurs de la Loi sont pressés de reprendre le procès, ou plutôt la parodie
de procès, et d’en finir avec ce Jésus qui les gêne. Ils pourraient Le
lapider tout de suite... Ils ont déjà essayé plusieurs fois, mais une force
étrange les en a toujours empêchés: “Jésus
passait au milieu d’eux et s’en allait!”
Ce
matin ils pourraient facilement Le lapider car l’Homme qui jusque là réussissait
à leur échapper est soigneusement ligoté. Pourquoi ne le font-ils pas?
Pourquoi aller chez Pilate: “Nous
n’avons pas le droit de mettre quelqu’un à mort!” Généralement,
pour lapider quelqu’un, l’exemple de la femme adultère est bien connu, ils
ne se gênent pas autant!!! C’est que, sans le savoir, les docteurs de la Loi,
eux aussi, en ce jour du premier Vendredi Saint, doivent accomplir les paroles
des prophètes: le Serviteur de Yahvé doit être élevé de terre, c’est-à-dire
crucifié et blessé au cœur: “Ils
regarderont Celui qu’ils ont transpercé!”
Les
bourreaux retirent donc Jésus de l’ignoble cave et le mènent devant le Sanhédrin,
puis chez Pilate. Pilate a vite jugé: Jésus est innocent. Mais la populace
gronde. Aussi, apprenant que l’accusé est galiléen, Pilate, trop content de
se décharger d’une sale affaire, envoie-t-il
Jésus chez Hérode, cet être abject qu’il méprise profondément...
Jésus
avait répondu aux questions de Pilate. Chez Hérode, Il se tait... Il refuse
d’entrer dans le jeu cynique de cet odieux personnage. Alors, excédé et méprisant,
Hérode hausse les épaules et revêt l’accusé de la robe des fous. Dès lors
les humiliations et les outrages pleuvent sur l’Innocent. Tout le monde
s’acharne sur Lui: les notables, bien sûr, mais aussi les serviteurs, les
gens de la Maison d’Hérode, le peuple sans pitié, c’est-à-dire la
populace qui est toujours là quand elle a l’occasion de s’amuser en faisant
souffrir quelqu’un. Et il y a même, parmi tous ces gens déchaînés,
quelques individus que Jésus avait guéris, quelques jours plus tôt.
Mon Dieu! Que font-ils là?
Jésus,
laissez-nous Vous contempler... Vous restez muet devant les mépris d’Hérode
et les cris de la populace. Vous Vous taisez et Vous priez. Votre âme
certainement pleure, car ce sont les vôtres, ceux de votre peuple, le peuple de
Dieu, ce sont les vôtres qui Vous rejettent, qui Vous méprisent, ne voulant
pas comprendre la sublimité de votre mission et l’Amour qui emplit votre Cœur:
vraiment Vous n’êtes qu’un fou, un pauvre homme exalté, au cerveau dérangé,
un idéaliste déséquilibré. Qui, en effet, maintenant, pourrait Vous écouter,
et surtout Vous suivre?
Pourtant,
tout dans votre vie est enseignement pour nous, et quel enseignement! Vous
voulez nous faire comprendre que rien dans votre vie n’avait été laissé au
hasard et que rien non plus dans nos vies ne serait le fait du hasard. Tout a un
but dans nos vies: nous conduire à Vous, à Dieu, en réalisant la vocation que
Vous avez voulue pour nous.
Jésus,
laissez-nous encore Vous contempler chez Hérode... On Vous méprise, on Vous
outrage. Tous ceux qui sont là Vous méconnaissent, Vous humilient, Vous
bafouent,... et Vous Vous taisez. Vous priez pour ces pauvres hommes qui ne
savent pas, et ne comprennent, ni ce qu’ils font, ni ce qu’ils disent.
Mais
le temps presse; demain c’est le Grand Sabbath, le Sabbath solennel, et le
Sanhédrin s’impatiente: quand va-t-on en finir? Vite, il faut retourner chez
Pilate. Alors, sans ménagement on bouscule Jésus et on Lui fait refaire en
courant le chemin qui le ramènera devant Pilate.
Nous
Vous regardons toujours, Jésus sur ce chemin de votre douleur: Vous portez
encore la robe blanche de dérision, la robe des fous, et l’on rit bien autour
de Vous: “Il en a sauvé d’autres, Il
ne peut se sauver Lui-même...”
Voilà
que Vous arrivez chez Pilate. Il n’est pas stupide, Pilate; il a bien compris
le jeu des juifs; il sait que Vous êtes innocent. Vous Vous dites Roi, Jésus,
mais “votre Royaume n’est pas de ce
monde.” Pilate pense intérieurement que Vous n’êtes guère dangereux.
Ce n’est pas Vous qui mettrez Rome en péril! Pilate sait aussi que Vous avez
dit: “Rendez à César ce qui est à César.”
Pilate a même appris, sa police est bien faite, que vous payiez vos impôts.
On ne lui a pas dit comment Vous aviez trouvé la somme dans la bouche d’un
poisson. Cela ne le regarde pas pourvu que l’argent rentre, dans ses caisses
ou dans celles du Temple...
Pilate
sait que Jésus est innocent de tout ce dont on l’accuse aujourd’hui. Ce Jésus
qu’il doit juger est seulement venu rendre témoignage à la vérité. Mais
qu’est-ce que la vérité, n’est-ce pas? Chacun a la sienne, n’est-il pas
vrai? Non vraiment, pour Pilate Jésus n’est pas coupable; c’est juste un
pauvre homme, un peu idéaliste, un rêveur irréaliste qui ne cesse de
proclamer: “Aimez-vous les uns les
autres.” Vous, Pilate, c’est Rome que vous aimez, que vous craignez
surtout, mais Rome vous fait vivre, et bien vivre. Rome, c’est votre situation
et votre avenir. Et puis il y a aussi les vertus romaines, et ce n’est pas
rien, et vous êtes décidé à rester loyal envers Rome: tant pis pour le
reste!
Jésus!
Pour Pilate Vous n’êtes qu’un pauvre homme vivant dans l’utopie: n’avez-Vous
pas dit: “Heureux les pauvres!”
Non vraiment, Vous n’avez rien compris à l’existence! Vous avez dit aussi: “Heureux
les coeurs purs!” Alors là, Vous exagérez! Vous ne connaissez donc rien
à la vie, ni au plaisir? Et Vous avez ajouté: “Heureux
ceux qui ont faim et soif de la justice!” Décidément Pilate serait sur
le point de comprendre les pharisiens et les grands du peuple juif. Eux, au
moins, ils ne s’embarrassent pas de scrupules: leurs employés sont à peine
plus que des esclaves qui, s’ils veulent manger un peu, doivent travailler
dur, malades ou pas. Surtout pas de sensiblerie, ça coûte trop cher! Alors les
pauvres, les purs, les veuves et les orphelins, ils n’ont qu’à se débrouiller!...
Il
y a bien dans la loi juive une petite phrase qui dit qu’il faut secourir les
veuves et les orphelins, mais ce n’est qu’une petite phrase, et elle est si
bien cachée qu’elle a été oubliée.
–
Non vraiment, cet homme qui est devant moi, doit penser Pilate, cet homme
n’est vraiment qu’un doux rêveur, pas dangereux du tout!...
Pilate
hausse les épaules, mais il n’a pas compris que quelqu’un qui déclare sans
cesse: “Aimez-vous les uns les
autres... Aimez votre prochain comme vous-même,” ça peut être bien
dangereux. Les juifs l’avaient compris, eux! surtout les riches qui, à
quelques exceptions près, traitaient leurs paysans et leurs serviteurs moins
bien que du bétail, et avec une rapacité inouïe.
Jésus,
Vous n’êtes qu’un pauvre fou, car la sagesse de Dieu est folie aux yeux des
hommes. Car Vous êtes Dieu, le Créateur du monde. Et l’on Vous prend pour
fou car Vous êtes toute sagesse, la Sagesse de l’Amour, de l’Amour que Vous
êtes. Vous êtes fou Jésus de la folie de Dieu qui aime sa Création, qui aime
ses créatures, qui aime ses enfants. Vous êtes fou Jésus de la Sagesse de
Dieu, la Sagesse du Dieu-Amour, fou d’Amour pour vos amis...
Vous
êtes fou d’Amour, Jésus, fou de votre Sagesse. Et nous, Jésus, nous aimons
votre folie car nous aimons votre Sagesse. Nous aimons votre folie, Jésus,
votre Amour qui nous a créés, votre Amour qui nous a aimés, votre Amour qui
nous aime toujours. Votre Amour que nous aimons, Jésus, car votre Amour,
c’est Vous.


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