
Méditations
préparatoires à la Grande Passion du Christ

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Le centurion
Jésus
et le soldat romain
Pilate
a livré Jésus aux juifs, pour être crucifié, mais crucifié par des soldats
romains,
ou
à la solde des romains. Jésus a été chargé de sa croix: le long chemin vers
le Calvaire est commencé. Pour que le spectacle soit complet, et pour gagner du
temps, deux autres condamnés, de droit commun ceux-là, seront crucifiés avec
Lui et comme Lui. Jésus devait être mis au rang des malfaiteurs...
Jésus,
chargé de sa croix, marche lentement: il n’a plus les forces suffisantes pour
avancer sur son chemin du supplice. L’agonie et la sueur de sang l’ont
beaucoup affaibli. La flagellation et le couronnement d’épines l’ont
presque totalement vidé de son sang. La Croix est beaucoup trop lourde, et Jésus
tombe.
Jésus
est tombé sous le poids de sa croix. Alors la foule hurlante se rue sur Lui
pour Le bourrer de nouveaux coups; des fanatiques Lui jettent des pierres,
celles qu’ils n’avaient pas pu lancer quelques mois auparavant. Le corps de
Jésus frémit sous la douleur aiguë des pierres qui tailladent ses chairs déjà
tellement déchirées. Les soldats lancent de féroces coups de pieds pour que
le condamné se relève plus vite; mais Jésus ne peut pas se relever...
Le
centurion romain contemple ce spectacle. Jamais, de toute sa vie qui ne fut pas
très tendre, il n’avait jamais vu çà: un homme souffrir autant, avec une
telle dignité, et sans se plaindre, sans dire un seul mot ou laisser échapper
un seul gémissement. Pourtant, lui, centurion romain, il en a vu mourir des
condamnés, il en a entendu hurler et blasphémer des êtres encore ignobles et
abjects même au seuil de la mort. Aujourd’hui, le centurion romain est dépassé:
il ne comprend pas, et il regarde Jésus, Jésus allongé sous le bois. Et
soudain son cœur pleure: l’homme dur a pitié.
Le
centurion romain a pitié de Jésus et il commence par chasser la foule hurlante
et insultante. Il chasse la foule à sa façon à lui, d’homme dur, de soldat
habitué à utiliser l’épée et toutes sortes d’autres armes. La foule
apeurée quitte sa proie et le centurion reste seul près de Jésus. Le
centurion a pitié, mais il doit accomplir sa tâche, jusqu’au bout, comme
tous les soldats romains ont appris à le faire. Alors, le centurion romain
appelle trois soldats, de ceux qui sont sous ses ordres, et à qui il peut dire:
”Fais ceci, et il le fait, fais cela,
et il le fait.”
Jésus
est de nouveau debout, et le chemin vers le lieu du supplice final peut
reprendre.
Le
corps de Jésus n’est plus qu’une partition de souffrances. Il est debout,
mais il ne peut avancer que très lentement, trop lentement pour les membres du
Sanhédrin qui s’impatientent en pensant que dans quelques heures c’est la
grande Pâque des juifs, le Sabbat solennel, et qu’ils doivent se garder
purs... Alors les hurlements reprennent, les invectives pleuvent. Malgré les
soldats qui entourent Jésus, on réussit à atteindre le condamné et à le
faire tomber, une nouvelle fois. Des hystériques gesticulent pour mieux
injurier l’homme qui meurt... Car Jésus meurt... mais Jésus ne doit pas
mourir, car on ne crucifie jamais un cadavre. Jésus doit être crucifié
vivant!...
Encore
une fois le centurion intervient: il cherche dans la foule quelqu’un qui
pourrait porter la croix. Tiens! voici un homme de rien, un de ces étrangers égarés
là, probablement un descendant d’esclaves: de gré ou de force, il fera
l’affaire. Mais l’homme se défend: il n’est ni malfaiteur, ni esclave,
ni...
Que
se passe-t-il ? Pendant que le centurion romain s’agite auprès du Cyrénéen
récalcitrant, une femme a réussi à s’approcher de Jésus. Il ne manquait
plus que çà! La femme s’agenouille; doucement, presque tendrement, elle
nettoie la face de Jésus et lui murmure quelques mots. Le centurion romain
n’en revient pas: c’est la première fois qu’il voit une femme
s’approcher d’un condamné à mort entouré de gens hurlant à la mort!!!
Mais qui est donc ce Jésus qui suscite à la fois tant de haine et tant
d’amour ?
Grâce
à quelques bourrades bien placées, Simon de Cyrène a été convaincu: il va
aider ce condamné de droit commun, ce bandit qu’il ne connaît pas! Mais il
lui fera sentir, à ce malotru, que Simon n’aime pas les condamnés à mort,
que lui, au moins, il est un homme honnête et que c’est contraint et forcé
qu’il va prendre le bois maudit. Ah! il va voir ce qu’il va voir!...
Pendant
qu’il s’avançait en traînant les pieds, quelqu’un dit à Simon :
–
Va, mon ami, cet homme, c’est Jésus de Nazareth, le prophète qui nous a fait
tant de bien. Nos chefs ne veulent pas de Lui parce qu’Il nous demande de nous
aimer les uns les autres.
Simon
n’insiste plus; il va vers Jésus, en hâte. Il se souvient que l’an
dernier, son petit fils a été guéri par ce même Jésus que l’on martyrise
aujourd’hui, devant lui. Le centurion romain regarde
Jésus et l’homme qui se charge du bois, de plus en plus étonné
devant le brusque changement d’attitude du Cyrénéen.
Le
centurion romain avance, devenu pensif. Les condamnés sont arrivés au sommet
du Calvaire et, lui, chef de la centurie, il doit donner l’ordre des trois
crucifixions. Et il doit assister au spectacle, jusqu’au bout: c’est la loi.
Comme à l’ordinaire, les deux premiers condamnés, les bandits bien connus et
redoutés des romains, se comportent normalement, en criant, en hurlant toutes
les imprécations habituelles. Mais Jésus se tait toujours. Seule quelques
larmes, qui semblent contenir toute la souffrance du monde, coulent sur ses
pauvres joues blessées et maculées de crachats. Et le centurion romain ne
comprend pas, et son cœur se serre, et furtivement il essuie les larmes indiscrètes
qui se sont échappées de ses yeux.
Tout
est terminé. Jésus est crucifié... Au pied de la Croix, se trouve un jeune
homme: probablement un jeune frère. Il y a aussi deux femmes qui sanglotent: la
mère et une prostituée que lui, le soldat de l’Empereur, avait connue
autrefois... Le centurion romain laisse faire...
On
approche de la neuvième heure. Le ciel se couvre: un orage menace. Mais la nuit
qui survient n’est pas normale: aucun orage n’a jamais provoqué des ténèbres
aussi profondes que celles qui, maintenant, envahissent les lieux. Et ces
grondements sourds, et ce tremblement de terre? Tout le monde a fui autour des
condamnés à mort, autour des crucifiés qui meurent lentement. Le centurion
romain a peur, mais il doit rester là, en faction: c’est son devoir de soldat
romain.
Sans
s’en rendre compte, le centurion romain s’est rapproché de la Croix de Jésus.
Il entend vaguement quelques paroles que Jésus articule difficilement, puis
c’est le grand cri, le cri déchirant qui
traverse l’espace et fait frémir la terre...
Le
centurion romain n’a pas bronché: un soldat romain ne doit pas quitter son
poste... Mais bouleversé, le centurion romain s’écrie:
–
Vraiment ! Celui-ci était le Fils de Dieu !


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