Deuxième partie
LES LETTRES
DE Marie Lataste
(1822-1847)

8
Grandir dans la vie spirituelle

 

8-1-Le bonheur en Dieu

 

Le 5 septembre 1843 (Lettre 18) Marie Lataste explique que son bonheur repose entièrement sur sa soumission totale à la volonté de Dieu. Elle revient sur ce que Dieu lui a fait goûter dans le Tabernacle Admirable. Elle écrit: "Les lumières qui éclairent mon âme, les grâces et la félicité qui l’enivrent en ces moments de la méditation ont quelque chose de si divin, de si heureux, que volontiers, si c’était possible, je passerais là ma vie et l’éternité, car j’y possède l’objet de tous mes désirs, le Sauveur Jésus. Je ne saurais jamais vous répéter... combien le Seigneur est aimable dans ses communications avec l’âme; combien il fait goûter à celui qui l’aime une félicité suprême jusque dans les plus grandes tribulations!

 

Je le sens bien... plus l’âme est libre et dégagée de tout ce qui n'est pas Dieu, même des consolations de Dieu, plus elle est heureuse et contente. Plus le cœur est vide de tout ce qui n'est pas Dieu, plus il est rempli de la grâce et de la douceur de Dieu, et rien ne saurait le rendre content s'il ne possède point Dieu...

 

Pour être content, le cœur doit être indifférent à tout... Heureuse l'âme établie dans cette indifférence dictée par l'amour de Dieu et le mépris de soi... Je désire augmenter en moi cette indifférence, cette soumission, cet abandon à la volonté de Dieu. C'est dans ces sentiments que je trouve la paix, la force et la confiance... Mes tribulations n'ont point disparu; mais je goûte, même avec elles, des consolations qui m’enivrent de félicité.

 

Oui, Monsieur[1], je suis heureuse, je ne désire plus rien; mon bonheur, c'est Dieu; il me suffit... ma félicité c'est Dieu et le repos en Dieu..."

 

8-2-L'oraison

 

Pour mieux comprendre Marie Lataste, le Père Darbins désire qu'elle lui parle aussi de ses oraisons. Obéissante, le 7 septembre 1843 (Lettre 19) Marie lui écrit: "Vous m’obligez à vous dire ce que j’éprouve dans mes méditations ces jours-ci. Je l’avoue, c'est là chose assez difficile...

 

Lorsque je veux faire oraison, je ne me sers point de livre ni de préparation... Je me mets donc en oraison avec la seule disposition de recevoir l’attrait qui me sera donné... Tôt ou tard, Dieu vient dire à mon âme: 'Cherche moi.' Je le cherche et je le trouve. Dieu, en effet, ne résiste pas à la soumission pleine et entière à sa divine volonté.

 

Dieu se communique à l’âme et se découvre à elle de plusieurs manières.

 

– Dieu se communique à l’âme par sa seule présence, et l'âme ressentant la présence sensible de Dieu repose en lui et suit l’attrait qui lui est donné conformément à cette communication.

– Dieu se communique aussi par les dons de sa grâce... L'âme en est tout enivrée... Ses peines disparaissent parce qu'elle goûte un bonheur ineffable dans la communication qui lui est faite.

– Dieu se communique à l'âme en lui donnant des connaissances diverses, par des lumières et des illuminations divines... ou bien par des pensées qu'il lui inspire et des paroles qu'il lui fait entendre.

– Dieu se communique à l'âme en la faisant pénétrer dans le sein de son immensité...

– Dieu se communique encore à l'âme d’une manière plus parfaite en la faisant pénétrer jusque dans son cœur. Je ne sais, Monsieur, si vous comprenez ce que je veux dire. Je mets une grande différence entre le sein et le Cœur de Dieu. Les communications que Dieu fait à une âme dans son cœur sont les plus intimes, les plus élevées, les plus parfaites. C'est là que l'âme trouve le point de réunion de toutes les perfections de Dieu... Là, elle voit et contemple les perfections divines... Le Cœur de Dieu, c'est la source d’où jaillissent toutes les grâces, c'est la plénitude de tous les biens... c'est là qu'il lui découvre la réalité de sa substance dont il lui donne communication pour ne faire qu'un avec elle... Là, Dieu parle un langage que les hommes ne comprennent point; là, l'âme parle à Dieu un langage dont elle n’a plus l’intelligence quand elle a cessé de parler... Ce langage est caché, intime, mystérieux; il est en forme de chant, et cependant il n'est point un chant. On n’emploie pour ce langage ni le son de la voix ni celui des paroles... Dans ce langage, l'âme et Dieu expriment réciproquement leurs sentiments l’un pour l’autre... Le cœur de l'âme, est si touché qu'il lui faut verser des larmes...

 

Dieu parle en Dieu, c'est-à-dire en maître; Dieu parle en Père... et l’âme ne peut parler que comme parle un sujet ou un esclave, comme parle un petit enfant. Quand Dieu parle, il se fait écouter; quand il a cessé de parler, c'est l'âme qui lui répond; mais cette réponse ne dépend point d’elle, elle dépend de Dieu qui l’inspire par un attrait que l'âme doit suivre avec une grande humilité...

 

Ô bonheur ineffable des communications de l'âme avec Dieu... Langage sans paroles, entretiens muets et mystérieux par l’onction éternelle de la Divinité, c'est-à-dire par le Saint-Esprit!... Ô, Dieu plein de miséricorde, Dieu plein de tendresse, Dieu plein d’amour, Dieu admirable, Dieu trois fois saint, que je vous aime à jamais!

 

Il me semble que le Sauveur Jésus m'a dit, il y a quelque temps: 'Ma fille, plus une âme avance dans la soumission et la fidélité à Dieu et l’humilité, plus elle avance dans la hiérarchie des communications avec Dieu. Soyez-moi fidèle, soyez soumise à mon Père, soyez humble.' C'est pour cela que je tâche de faire en tout sa volonté et que je me défie complètement de moi-même. Le Sauveur Jésus m'a dit encore qu'il y a deux sortes de communications de Dieu à l’âme: la première sensible et la seconde insensible. Quand Dieu fait connaître à l'âme les dons et les grâces qu'il lui fait, il y a communication sensible; quand il les lui cache, il y a communication insensible... Dieu ne conduit pas toutes les âmes par le même chemin; il fait suivre aux unes la route du Calvaire et place les autres sur le Thabor, pour un temps, pour placer ensuite celles-ci sur le Calvaire et celles-là sur le Thabor...

 

8-3-Un cours de théologie mystique

 

Le Père Darbins, curé et directeur spirituel de Marie Lataste devait se sentir parfois débordé devant les "cours" de théologie et les enseignements concernant la vie mystique que recevait sa dirigée. Aussi, un jour, lui demanda-t-il d'interroger Jésus sur l'entrée et les progrès d'une âme dans la perfection.

 

Marie Lataste lui répondit le 10 septembre 1843. (Lettre 17) Voici les lumières qu'il plut au Sauveur de lui donner à ce sujet: "Quand une âme est en état de grâce et désire entrer et s’avancer dans la perfection, elle s’humilie profondément devant Dieu. Elle reconnaît que par elle-même elle n’est que péché, qu'il lui est impossible de faire le bien et qu'elle a un besoin permanent et continuel du secours de Dieu...

 

Comme Dieu ne résiste point aux humbles, il inspire confiance à cette âme... il l’attire vers lui, il souffle en elle peu à peu le feu d’une charité qui croît de plus en plus... et qui fait que cette âme ne désire que Dieu, ne cherche que Dieu, ne veut que Dieu... La lumière qu'elle cherche n'est point celle du soleil, mais celle de la grâce, qui est la lumière de Dieu éclairant les âmes... Ainsi cette âme étouffe les sentiments de la nature, maîtrise ses passions... pour ne suivre que celle de l’esprit de Dieu...

 

Plus elle avance dans le chemin de la perfection... plus elle comprend qu'il n'y a qu'un seul mal, le péché, parce qu'il éloigne de Dieu; qu'il n'y a qu'un seul bien, Dieu et son amour...

 

L'âme... ne cherche plus que Dieu et l’accomplissement de sa volonté. Elle s’abandonne tout à Dieu... elle garde ses yeux attachés sur Dieu et marche au souffle de la grâce vers la perfection... Elle peut s’abandonner à Dieu... qui la conduira sûrement au port du salut. Quelquefois Dieu paraîtra sommeiller: des tempêtes surgiront... mais comme c'est toujours Dieu qui commande aux vents déchaînés et qui les arrête par sa parole, l'âme est en sûreté, son salut reposant sur la confiance qu'elle a dans le Sauveur..."


[1] Son directeur, le Père Pierre Darbins.

   

 

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