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Une méditation de Marie
Marie est toujours
dans les ténèbres intérieures: elle ne connaît que très peu de
choses de la vie de son Jésus, mais elle est toujours saisie par
une inquiétude sourde et indéfinissable. Les nouvelles qui lui
parviennent
sont
très mitigées: beaucoup de miracles, beaucoup de malades guéris,
de démons chassés, et des enthousiasmes nombreux, mais trop
bruyants pour être durables; et puis, comment comprendre la
méfiance des prêtres et des docteurs de la Loi. Pourquoi ne
veulent-ils pas comprendre que Jésus est vraiment le Messie
qu'ils attendent? Marie étant elle-même de famille sacerdotale
ne peut accepter les réticences des prêtres et des docteurs. Par
ailleurs, elle ne peut s'empêcher de penser aux visions du
prophète Zacharie qui raconte, dans son chapitre 3, verset 1:
"L'ange me fit voir Josué, le grand prêtre, debout devant l'ange
de Yahweh; et Satan se tenait à sa droite pour lui faire
opposition..." Marie se demande si effectivement il ne
s'agit pas ici de Jésus que Satan tourmente. En effet, l'ange de
Yahweh déclara, au verset 8: "Voici que je vais faire venir
mon serviteur Germe... et j'enlèverai l'Iniquité de ce pays en
un seul jour."
C'est sûr, pense
Marie, ce Germe dont parle Yahweh ne peut être que Jésus.
D'autant plus qu'au chapitre 6, verset 12, Yahweh des Armées
parle encore: "Voici un homme dont le nom est Germe; il
germera en son lieu, et il bâtira le temple de Yahweh. Il bâtira
le temple de Yahweh, et sera revêtu de majesté; il sera assis en
souverain sur son trône, et il sera prêtre sur son trône; il y
aura un prêtre à sa droite, et entre eux deux ce sera la paix
parfaite." Marie est perplexe: de quel temple peut-il
s'agir, car le Temple est déjà reconstruit. À moins qu'il ne
soit détruit une nouvelle fois... En effet, Marie se souvient
que Zacharie écrit aussi, au chapitre 7, versets 9 et 10, que
Yahweh des Armées dit encore: "Rendez la justice selon la
vérité; pratiquez la miséricorde et la compassion chacun envers
son frère; n'opprimez pas la veuve et l'orphelin, l'étranger et
le pauvre, et me méditez pas l'un contre l'autre le mal dans vos
cœurs." C'est exactement ce que prêche Jésus, "mais ils
ont refusé d'écouter, ils ont prêté une épaule rebelle, et
endurci leurs oreilles pour ne pas entendre. Ils ont rendu leur
cœur tel que le diamant, pour ne pas entendre la loi et les
paroles que Yahweh des armées leur adressait par son Esprit..."
(Zacharie 7, 11 et 12)
Marie est troublée.
Elle se réjouit des succès de Jésus et de ses enseignements qui
font que l'on dit de Lui "que personne n'a jamais parlé comme
cet homme..." Mais elle a trop mal quand elle pense à
l'attitude de ses amis de Nazareth envers Jésus qui ne put y
faire de miracle à cause de leur manque de foi. Dans son cœur
Marie entend toujours les réflexions désobligeantes que quelques
personnes commencent à lui faire au sujet de Jésus. Et cela lui
fait si mal... Cependant Marie se rassure: toute personne qui
débute une mission et commence à monter dans l'estime des
hommes, connaît inévitablement ces résistances, ces oppositions.
C'est normal, hélas! car ce n'est que la manifestation et
l'expression de certaines jalousies, regrettables et graves,
mais qui ne peuvent que fortifier l'action de Dieu. Alors, Marie
se rassure et se souvient d'un oracle du prophète Balaam:
"Oracle de l'homme dont l'oeil est fermé; oracle de celui qui
entend les paroles de Dieu, qui connaît la science du Très-Haut,
qui contemple la vision du Tout puissant, qui tombe, et dont les
yeux s'ouvrent. Je le vois, mais non comme présent; je le
contemple, mais non de près. Un astre sort de Jacob, un sceptre
s'élève d'Israël..." (Nombres 24, 16 et 17)
Balaam aurait-il vu
son fils, le Fils du Père? Marie se rassure, jusqu'au moment où
elle se souvient des paroles de Jésus s'en retournant vers
Jérusalem: "Le Fils de l'Homme doit beaucoup souffrir de la
part des Anciens et il sera mis à mort!" Le cœur de Marie se
serre: le glaive de douleur commencerait-il à le pénétrer?
Malgré elle, Marie récite le psaume 22 (vulg. 21) "Mon Dieu,
mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?" Ce n'est pas
possible, pense Marie, Dieu ne peut pas abandonner son Fils...
Pourtant elle continue à murmurer le psaume: "Je gémis, et le
salut reste loin de moi! Mon Dieu, je crie pendant le jour, et
tu ne réponds pas; la nuit, et je n'ai point de repos..."
C'est vrai, Jésus ne se repose jamais... Mais Marie poursuit et
sourit: "Pourtant tu es saint... En toi se sont confiés nos
pères; ils se sont confiés, et tu les as délivrés. Ils ont crié
vers toi, et ils ont été sauvés; ils se sont confiés en toi, et
ils n'ont pas été confondus."
Marie est tout à
fait rassérénée, et elle poursuit, sereine, son travail de
tissage: elle prépare une tunique pour son Fils, une tunique
sans couture. Comme il sera beau, son Jésus! Soudain, Marie se
met à trembler et murmure quelques mots inaudibles puis voici
qu'elle poursuit: "Et moi, je suis un ver, et non un homme,
l'opprobre des hommes et le rebut du peuple. Tous ceux qui me
voient se moquent de moi; ils ouvrent les lèvres, ils branlent
la tête: 'Qu'il s'abandonne à Yahweh! Qu'il le sauve, qu'il le
délivre, puisqu'il l'aime'!" Puisque "depuis sa naissance
il n'a jamais abandonné Dieu..." Mais, de qui peut-il
s'agir, pense Marie. Pas de Jésus, non, ce n'est pas possible.
Marie pleure maintenant et prie: "Ne t'éloigne pas de moi,
mon Dieu, car l'angoisse est proche, car personne ne vient à mon
secours. Autour de moi sont de nombreux taureaux, les forts de
Basan m'environnent. Ils ouvrent contre moi leur gueule, comme
un lion qui déchire et rugit."
Marie allait
continuer sa prière lorsque, brutalement, elle comprend: elle
comprend, et le psaume, et les paroles de Jésus qu'on lui a
rapportées. Mais qu'est-ce que cela peut-il signifier? Ils
n'oseront jamais tuer Jésus qui leur fait tant de bien... Alors
pourquoi Jésus aurait-il dit qu'il allait beaucoup souffrir?
Marie pleure de plus en plus tout en récitant: "Je suis comme
de l'eau qui s'écoule, et tous mes os sont disjoints; mon cœur
est comme de la cire, il se fond dans mes entrailles. Ma force
s'est desséchée comme un tesson d'argile, et ma langue s'attache
à mon palais; tu me couches dans la poussière de la mort."
— Non ! crie Marie,
cela ne peut pas être, pas contre mon fils !
Pourtant le psaume
continue: "Car des chiens m'environnent, des scélérats rôdent
autour de moi; ils ont percé mes pieds et mes mains, je pourrais
compter tous mes os. Eux, ils m'observent, ils me contemplent;
ils se partagent mes vêtements, ils tirent au sort ma tunique."
Marie ne peut s'empêcher de crier :
— Pas cette
tunique, pas celle que je suis en train de lui confectionner !
Marie maintenant
sanglote et prie ce psaume qui lui cause tant de douleur: "Et
toi, Yahweh, ne t'éloigne pas! Toi qui es ma force, viens en
hâte à mon secours! Délivre mon âme de l'épée, ma vie du pouvoir
du chien! Sauve-moi de la gueule du lion, tire-moi des cornes du
buffle! Alors j'annoncerai ton nom à mes frères; au milieu de
l'assemblée je te louerai: 'Vous qui craignez Yahweh, louez-le!
Vous tous, postérité de Jacob, glorifiez-le! Révérez-le, vous
tous, postérité d'Israël! Car il n'a pas méprisé, il n'a pas
rejeté la souffrance de l'affligé, il n'a pas caché sa face
devant lui, et quand l'affligé a crié vers lui, il a entendu'."
Marie se calme; oui
Dieu est grand, et elle sait qu'elle fera toujours la volonté de
Dieu. Oui, pense-t-elle, "mon hymne retentira dans la grande
assemblée, j'acquitterai mes voeux en présence de ceux qui te
craignent. Les affligés mangeront et se rassasieront; ceux qui
cherchent Yahweh le loueront. Que leur cœur revive à jamais!
Toutes les extrémités de la terre se souviendront et se
tourneront vers Yahweh, et toutes les familles des nations se
prosterneront devant sa face. Car à Yahweh appartient l'empire,
il domine sur les nations."
Marie s'arrête et
pense, étonnée, car elle a comme une intuition, et elle récite
tout haut la fin du psaume: "Les puissants de la terre
mangeront et se prosterneront; devant lui s'inclineront tous
ceux qui descendent à la poussière, ceux qui ne peuvent
prolonger leur vie. La postérité le servira; on parlera du
Seigneur à la génération future. Ils viendront et ils
annonceront sa justice; au peuple qui naîtra, ils diront ce
qu'il a fait."
Marie a repris son
travail. Oui, elle en est sûre: toutes les générations la diront
bienheureuse parce que son Fils sera grand. Oui, un jour,
"les puissants de la terre se prosterneront devant Lui."
D'ailleurs les mages venus d'Orient s'étaient déjà prosternés
devant lui. Israël sera libéré, un jour, de l'occupation romaine
lorsqu'il se convertira totalement, et reviendra au Seigneur son
Dieu. Oui, comme tous les prophètes, Jésus tout petit avait dû
fuir avec ses parents car Hérode en voulait à sa vie. Mais Jésus
ne parle que d'amour, de paix, de bonté. Et ses paroles sont
toujours accompagnées de guérisons inattendues. Oui, bientôt,
tous reconnaîtront qu'Il est venu du Père pour le salut de tous
les hommes. Oui, l'amour de Dieu, l'amour que son Fils révèle à
tous dominera le monde; oui, le psaume a raison quand il conclut
par ces termes: "La postérité le servira; on parlera du
Seigneur à la génération future. Ils viendront et ils
annonceront sa justice; au peuple qui naîtra, ils diront ce
qu'il a fait."
Une journée a
passé. Marie a repris des forces; elle a bien travaillé et elle
a achevé la tunique pour Jésus. Marie prie. Elle semble si
heureuse. Elle pense, avec le psaume, aux peuples qui diront ce
que son fils a fait. Oui, la génération future et toutes les
nations le serviront. Pourtant, par moments, Marie se demande
pourquoi les prophètes ont tous annoncé des malheurs pour
Israël, donc pour ses habitants. Ainsi, Jérémie ne dit-il pas,
parlant de sa nation juive: "Ainsi parle Jéhovah: ta blessure
est grave, ta plaie est douloureuse; Personne qui plaide ta
cause pour qu'on te panse, Il n’y a pour toi ni remède, ni
guérison. Tous tes amants t'ont oubliée; ils ne se soucient
point de toi, Car je t'ai frappée comme on frappe un ennemi,
d'un châtiment cruel, à cause de la multitude de tes iniquités,
parce que tes péchés se sont accrus. Pourquoi crier à cause de
ta blessure, de ce que ton mal est sans remède? C'est à cause de
la multitude de tes iniquités, de la grandeur de tes péchés que
je t'ai fait ces choses." (Jérémie 30, 12 à 15)
Voici que Marie se
souvient d'une parole de son Fils qu'on lui a rapportée: dans le
Jourdain, Jésus parlant avec Jean le Baptiste lui aurait dit
qu'il portait les péchés du monde. Et Jean montra Jésus à
quelques-uns de ses disciples en disant: "Voici l'Agneau de
Dieu qui porte les péchés du monde!" Et ces disciples
suivirent Jésus. Marie les avait même rencontrés aux Noces de
Cana. Alors, si Jésus porte les péchés du monde, n'est-ce pas
aussi à Jésus que Jérémie s'adresse, n'est-ce pas de Jésus qu'il
parle en prétendant parler à la nation juive?
Marie est toute
retournée. Comme la Pâque approche, quelques familles commencent
leurs préparatifs. C'est décidé: elle partira avec eux, et elle
restera avec Jésus tout le temps qu'il faudra. |