Mieux connaître Marie

   
   
   
 

Paulette Leblanc

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Une méditation de Marie
 

Marie est toujours dans les ténèbres intérieures: elle ne connaît que très peu de choses de la vie de son Jésus, mais elle est toujours saisie par une inquiétude sourde et indéfinissable. Les nouvelles qui lui parviennent sont très mitigées: beaucoup de miracles, beaucoup de malades guéris, de démons chassés, et des enthousiasmes nombreux, mais trop bruyants pour être durables; et puis, comment comprendre la méfiance des prêtres et des docteurs de la Loi. Pourquoi ne veulent-ils pas comprendre que Jésus est vraiment le Messie qu'ils attendent? Marie étant elle-même de famille sacerdotale ne peut accepter les réticences des prêtres et des docteurs. Par ailleurs, elle ne peut s'empêcher de penser aux visions du prophète Zacharie qui raconte, dans son chapitre 3, verset 1: "L'ange me fit voir Josué, le grand prêtre, debout devant l'ange de Yahweh; et Satan se tenait à sa droite pour lui faire opposition..." Marie se demande si effectivement il ne s'agit pas ici de Jésus que Satan tourmente. En effet, l'ange de Yahweh déclara, au verset 8: "Voici que je vais faire venir mon serviteur Germe... et j'enlèverai l'Iniquité de ce pays en un seul jour."

C'est sûr, pense Marie, ce Germe dont parle Yahweh ne peut être que Jésus. D'autant plus qu'au chapitre 6, verset 12, Yahweh des Armées parle encore: "Voici un homme dont le nom est Germe; il germera en son lieu, et il bâtira le temple de Yahweh. Il bâtira le temple de Yahweh, et sera revêtu de majesté; il sera assis en souverain sur son trône, et il sera prêtre sur son trône; il y aura un prêtre à sa droite, et entre eux deux ce sera la paix parfaite." Marie est perplexe: de quel temple peut-il s'agir, car le Temple est déjà reconstruit.  À moins qu'il ne soit détruit une nouvelle fois... En effet, Marie se souvient que Zacharie écrit aussi, au chapitre 7, versets 9 et 10, que Yahweh des Armées dit encore: "Rendez la justice selon la vérité; pratiquez la miséricorde et la compassion chacun envers son frère; n'opprimez pas la veuve et l'orphelin, l'étranger et le pauvre, et me méditez pas l'un contre l'autre le mal dans vos cœurs." C'est exactement ce que prêche Jésus, "mais ils ont refusé d'écouter, ils ont prêté une épaule rebelle, et endurci leurs oreilles pour ne pas entendre. Ils ont rendu leur cœur tel que le diamant, pour ne pas entendre la loi et les paroles que Yahweh des armées leur adressait par son Esprit..." (Zacharie 7, 11 et 12)

Marie est troublée. Elle se réjouit des succès de Jésus et de ses enseignements qui font que l'on dit de Lui "que personne n'a jamais parlé comme cet homme..." Mais elle a trop mal quand elle pense à l'attitude de ses amis de Nazareth envers Jésus qui ne put y faire de miracle à cause de leur manque de foi. Dans son cœur Marie entend toujours les réflexions désobligeantes que quelques personnes commencent à lui faire au sujet de Jésus. Et cela lui fait si mal... Cependant Marie se rassure: toute personne qui débute une mission et commence à monter dans l'estime des hommes, connaît inévitablement ces résistances, ces oppositions. C'est normal, hélas! car ce n'est que la manifestation et l'expression de certaines jalousies, regrettables et graves, mais qui ne peuvent que fortifier l'action de Dieu. Alors, Marie se rassure et se souvient d'un oracle du prophète Balaam: "Oracle de l'homme dont l'oeil est fermé; oracle de celui qui entend les paroles de Dieu, qui connaît la science du Très-Haut, qui contemple la vision du Tout puissant, qui tombe, et dont les yeux s'ouvrent. Je le vois, mais non comme présent; je le contemple, mais non de près. Un astre sort de Jacob, un sceptre s'élève d'Israël..." (Nombres 24, 16 et 17)

Balaam aurait-il vu son fils, le Fils du Père? Marie se rassure, jusqu'au moment où elle se souvient des paroles de Jésus s'en retournant vers Jérusalem: "Le Fils de l'Homme doit beaucoup souffrir de la part des Anciens et il sera mis à mort!" Le cœur de Marie se serre: le glaive de douleur commencerait-il à le pénétrer? Malgré elle, Marie récite le psaume 22 (vulg. 21) "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?" Ce n'est pas possible, pense Marie, Dieu ne peut pas abandonner son Fils... Pourtant elle continue à murmurer le psaume: "Je gémis, et le salut reste loin de moi! Mon Dieu, je crie pendant le jour, et tu ne réponds pas; la nuit, et je n'ai point de repos..." C'est vrai, Jésus ne se repose jamais...  Mais Marie poursuit et sourit: "Pourtant tu es saint... En toi se sont confiés nos pères; ils se sont confiés, et tu les as délivrés. Ils ont crié vers toi, et ils ont été sauvés; ils se sont confiés en toi, et ils n'ont pas été confondus."

Marie est tout à fait rassérénée, et elle poursuit, sereine, son travail de tissage: elle prépare une tunique pour son Fils, une tunique sans couture. Comme il sera beau, son Jésus! Soudain, Marie se met à trembler et murmure quelques mots inaudibles puis voici qu'elle poursuit: "Et moi, je suis un ver, et non un homme, l'opprobre des hommes et le rebut du peuple. Tous ceux qui me voient se moquent de moi; ils ouvrent les lèvres, ils branlent la tête: 'Qu'il s'abandonne à Yahweh! Qu'il le sauve, qu'il le délivre, puisqu'il l'aime'!" Puisque "depuis sa naissance il n'a jamais abandonné Dieu..." Mais, de qui peut-il s'agir, pense Marie. Pas de Jésus, non, ce n'est pas possible. Marie pleure maintenant et prie: "Ne t'éloigne pas de moi, mon Dieu, car l'angoisse est proche, car personne ne vient à mon secours. Autour de moi sont de nombreux taureaux, les forts de Basan m'environnent. Ils ouvrent contre moi leur gueule, comme un lion qui déchire et rugit."

Marie allait continuer sa prière lorsque, brutalement, elle comprend: elle comprend, et le psaume, et les paroles de Jésus qu'on lui a rapportées. Mais qu'est-ce que cela peut-il signifier? Ils n'oseront jamais tuer Jésus qui leur fait tant de bien... Alors pourquoi Jésus aurait-il dit qu'il allait beaucoup souffrir? Marie pleure de plus en plus tout en récitant: "Je suis comme de l'eau qui s'écoule, et tous mes os sont disjoints; mon cœur est comme de la cire, il se fond dans mes entrailles. Ma force s'est desséchée comme un tesson d'argile, et ma langue s'attache à mon palais; tu me couches dans la poussière de la mort."

— Non ! crie Marie, cela ne peut pas être, pas contre mon fils !

Pourtant le psaume continue: "Car des chiens m'environnent, des scélérats rôdent autour de moi; ils ont percé mes pieds et mes mains, je pourrais compter tous mes os. Eux, ils m'observent, ils me contemplent; ils se partagent mes vêtements, ils tirent au sort ma tunique." Marie ne peut s'empêcher de crier :

— Pas cette tunique, pas celle que je suis en train de lui confectionner !

Marie maintenant sanglote et prie ce psaume qui lui cause tant de douleur: "Et toi, Yahweh, ne t'éloigne pas! Toi qui es ma force, viens en hâte à mon secours! Délivre mon âme de l'épée, ma vie du pouvoir du chien! Sauve-moi de la gueule du lion, tire-moi des cornes du buffle! Alors j'annoncerai ton nom à mes frères; au milieu de l'assemblée je te louerai: 'Vous qui craignez Yahweh, louez-le! Vous tous, postérité de Jacob, glorifiez-le! Révérez-le, vous tous, postérité d'Israël! Car il n'a pas méprisé, il n'a pas rejeté la souffrance de l'affligé, il n'a pas caché sa face devant lui, et quand l'affligé a crié vers lui, il a entendu'."

Marie se calme; oui Dieu est grand, et elle sait qu'elle fera toujours la volonté de Dieu. Oui, pense-t-elle, "mon hymne retentira dans la grande assemblée, j'acquitterai mes voeux en présence de ceux qui te craignent. Les affligés mangeront et se rassasieront; ceux qui cherchent Yahweh le loueront. Que leur cœur revive à jamais! Toutes les extrémités de la terre se souviendront et se tourneront vers Yahweh, et toutes les familles des nations se prosterneront devant sa face. Car à Yahweh appartient l'empire, il domine sur les nations."

Marie s'arrête et pense, étonnée, car elle a comme une intuition, et elle récite tout haut la fin du psaume: "Les puissants de la terre mangeront et se prosterneront; devant lui s'inclineront tous ceux qui descendent à la poussière, ceux qui ne peuvent prolonger leur vie. La postérité le servira; on parlera du Seigneur à la génération future. Ils viendront et ils annonceront sa justice; au peuple qui naîtra, ils diront ce qu'il a fait."

Marie a repris son travail. Oui, elle en est sûre: toutes les générations la diront bienheureuse parce que son Fils sera grand. Oui, un jour, "les puissants de la terre se prosterneront devant Lui." D'ailleurs les mages venus d'Orient s'étaient déjà prosternés devant lui. Israël sera libéré, un jour, de l'occupation romaine lorsqu'il se convertira totalement, et reviendra au Seigneur son Dieu. Oui, comme tous les prophètes, Jésus tout petit avait dû fuir avec ses parents car Hérode en voulait à sa vie. Mais Jésus ne parle que d'amour, de paix, de bonté. Et ses paroles sont toujours accompagnées de guérisons inattendues. Oui, bientôt, tous reconnaîtront qu'Il est venu du Père pour le salut de tous les hommes. Oui, l'amour de Dieu, l'amour que son Fils révèle à tous dominera le monde; oui, le psaume a raison quand il conclut par ces termes: "La postérité le servira; on parlera du Seigneur à la génération future. Ils viendront et ils annonceront sa justice; au peuple qui naîtra, ils diront ce qu'il a fait."

Une journée a passé. Marie a repris des forces; elle a bien travaillé et elle a achevé la tunique pour Jésus. Marie prie. Elle semble si heureuse. Elle pense, avec le psaume, aux peuples qui diront ce que son fils a fait. Oui, la génération future et toutes les nations le serviront. Pourtant, par moments, Marie se demande pourquoi les prophètes ont tous annoncé des malheurs pour Israël, donc pour ses habitants. Ainsi, Jérémie ne dit-il pas, parlant de sa nation juive: "Ainsi parle Jéhovah: ta blessure est grave, ta plaie est douloureuse; Personne qui plaide ta cause pour qu'on te panse, Il n’y a pour toi ni remède, ni guérison. Tous tes amants t'ont oubliée; ils ne se soucient point de toi, Car je t'ai frappée comme on frappe un ennemi, d'un châtiment cruel, à cause de la multitude de tes iniquités, parce que tes péchés se sont accrus. Pourquoi crier à cause de ta blessure, de ce que ton mal est sans remède? C'est à cause de la multitude de tes iniquités, de la grandeur de tes péchés que je t'ai fait ces choses." (Jérémie 30, 12 à 15)

Voici que Marie se souvient d'une parole de son Fils qu'on lui a rapportée: dans le Jourdain, Jésus parlant avec Jean le Baptiste lui aurait dit qu'il portait les péchés du monde. Et Jean montra Jésus à quelques-uns de ses disciples en disant: "Voici l'Agneau de Dieu qui porte les péchés du monde!" Et ces disciples suivirent Jésus. Marie les avait même rencontrés aux Noces de Cana. Alors, si Jésus porte les péchés du monde, n'est-ce pas aussi à Jésus que Jérémie s'adresse, n'est-ce pas de Jésus qu'il parle en prétendant parler à la nation juive?

Marie est toute retournée. Comme la Pâque approche, quelques familles commencent leurs préparatifs. C'est décidé: elle partira avec eux, et elle restera avec Jésus tout le temps qu'il faudra.

   

 

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