

CHAPITRE 10.
IL VA POUR LA PREMIÈRE FOIS AU MONT ARGENTARIO;
PUIS, IL SE REND AUPRÈS DE MONSEIGNEUR L'ÉVÊQUE DE SOANA,
POUR OBTENIR LA PERMISSION D'HABITER L'ERMITAGE DE L'ANNONCIATION,
SITUÉ SUR CETTE MONTAGNE.
La providence de Dieu ménagea
diverses conjonctures pour éprouver et fortifier la vertu de son serviteur.
Parti de Rome, Paul s'embarqua sur un petit vaisseau où se trouvait aussi un
prêtre. Cet ecclésiastique le voyant toujours recueilli et en prière, fut comme
possédé d'une fureur insensée et se mit à lui dire des injures atroces. Le
vaisseau ayant pris terre à Fiumicino, Paul se procura une place dans une autre
barque qui se dirigeait vers Saint-Sévère, et là encore il rencontra un frère
lai qui le chargea de mille grossièretés sans aucun motif. Paul ayant conçu dans
l'oraison un vif désir de souffrir avec son Rédempteur, et ayant appris de lui à
garder le silence parmi les outrages et les mépris, n'ouvrit la bouche ni devant
ce prêtre, ni devant ce frère; mais se regardant comme un misérable pécheur, il
disait en lui-même qu'ils avaient bien raison de le traiter de la sorte. La
barque, l'ayant déposé à Saint-Sévère, de là il revint par terre à Civita
Vecchia, où, ne trouvant personne pour le loger et lui donner à manger, il passa
la nuit comme il put sous le portique de la Sanitâ. En étant parti, il passa par
Corneto où il fut reçu avec charité chez les pères Augustins. La nuit d'ensuite,
il s'arrêta à Montalte, où un prêtre voulut bien l'accueillir. Le lendemain, il
se mit en route pour le mont Argentario, espérant d'arriver le soir au village
qui est au pied de la montagne; mais surpris par la nuit en pleine campagne, il
alla chercher un abri dans une cabane de bergers alors abandonnée. Là, sans s'en
apercevoir, il fut tout rempli de sales insectes, dont le pauvre jeune homme,
qui n'avait pour tout vêtement qu'une simple tunique, fut continuellement et
sensiblement tourmenté jusqu'à son retour en Lombardie. Le jour venu, il reprit
sa route et se dirigea vers Portercole pour achever son voyage. Il lui fut très
pénible; seul, au milieu de ces vastes plaines qui lui étaient tout à fait
inconnues, sans rencontrer qui que ce fut, il eut à souffrir non seulement la
fatigue, mais le dégoût, la tristesse et ces désolations intérieures par
lesquelles le Seigneur éprouve fort souvent la fidélité de ses serviteurs.
A Portercole, il fut reçu
charitablement par l'archiprêtre d'alors, don Antoine Serra, de qui il apprit
qu'il y avait là sur la montagne un ermitage qui avait été autrefois un couvent
d'Augustins, sous le titre de l'Annonciation. Paul, en conséquence, résolut d'y
aller pour voir si ce lieu était assorti à son dessein. Il y monta, n'emportant
avec lui d'autre provision qu'une petite portion de pain qui lui avait été
donnée en aumône par un ecclésiastique charitable. Voyant que la montagne
respirait un air de sainte solitude, et invitait au recueillement, à l'oraison,
à la pénitence, il y resta quelques jours, se nourrissant de ce peu de pain
qu'il y avait porté et du raisin qui était encore sur la treille. Jugeant
ensuite que ce lieu lui convenait beaucoup pour y être tranquille et jouir d'un
doux entretien avec Dieu, il résolut d'aller trouver monseigneur l'évêque de
Soana, à la juridiction duquel est soumise l'église de l'Annonciation avec
l'ermitage qui en dépend. Son cœur ne goûtait pas cependant cette paix entière
qu'on trouve dans l'accomplissement des desseins de Dieu. Se rappelant alors le
grand désir que lui avait témoigné, à Gênes, son frère Jean-Baptiste, de
s'associer à lui, et réfléchissant à ce que celui-ci lui avait dit, il retourna
pour le prendre et demeurer ensuite avec lui dans ce pieux ermitage. Il
descendit donc à Orbetello, afin de prendre ensuite la route de Pitiglialio, qui
était la résidence ordinaire de l'évêque de Soana. Quand il fut dans la ville d'Orbetello,
comme il n'y avait aucune connaissance, il ne trouva personne pour l'héberger.
Il se tint donc sur la place publique, comme font les pauvres, attendant que la
divine Providence lui envoyât quelque hôte charitable. Il ne dut pas attendre
longtemps. Un bon religieux Minime, voyant ce pauvre jeune homme avec son habit
si pénitent et si abject, en fut touché de compassion. Il pria son supérieur de
vouloir bien l'accueillir au couvent. Celui-ci condescendit volontiers à la
demande et le reçut avec bienveillance. Paul le prit ensuite pendant quelque
temps pour son confesseur. En quittant Orbetello, il suivit le chemin qui
conduit de Marsigliana vers Pitigliano. Plus d'une fois, il fut embarrassé pour
savoir quel chemin suivre entre les diverses directions qu'offrait la route. Il
se trouvait seul au milieu de campagnes solitaires, entrecoupées de bois épais;
il était tout naturel d'éprouver beaucoup de peine et d'ennui dans un semblable
voyage. Le premier jour, il arriva à Manciano, village de la Toscane, et ayant
fait la rencontre d'un prêtre qui était le curé de l'endroit, il le pria
humblement de lui accorder l'hospitalité pour l'amour de Dieu. A l'aspect d'un
inconnu si mal vêtu et d'un extérieur si négligé, le curé, sans trop y penser,
lui répondit soudain par un refus. «Eh! Lui dit-il, il se présente tant de
malfaiteurs qu'il n'en faut qu'un pour faire du mal à cent personnes». A ces
paroles, l'humble serviteur de Dieu se contenta de répondre : «Je suis capable
de tous les crimes; j'espère pourtant, avec la grâce de Dieu, que je n'aurai pas
le malheur de les commettre». L'humilité est un grand secret pour subjuguer les
cœurs et obtenir ce qu'on demande. Touché d'une réponse tout à la fois si humble
et si sage, le curé le reçut dans sa maison et l'hébergea avec charité. Paul,
ayant quitté ce lieu, arriva enfin à Pitigliano ; mais, apprenant que
monseigneur l'évêque était à Pienza, il fut obligé de se rendre, avec un
surcroît de fatigues, dans cette ville, où le bon prélat qui était alors
monseigneur Fulvio Salvi, l'accueillit avec bonté, lui accorda ce qu'il
désirait, et le congédia avec sa bénédiction.



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