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Livre premierChapitre IIIPreuves de la même vérité, tirées de l’Ecclésiaste. Salomon qui a écrit le Cantique en faveur des âmes embrasées de l’amour de Dieu, a composé un autre Ouvrage intitulé l’Ecclésiaste, pour l’instruction des personnes plus grossières, qui ont besoin qu’on les désabuse de la vanité du monde. Ce qu’il dit pour leur en inspirer de l’aversion et du mépris, semblera peut-être incroyable à ceux qui jugent des choses par les sens; mais il n’y a rien de plus vrai ni de mieux fondé sur le témoignage incontestable du Saint-Esprit. Voici donc comme parle ce divin Prédicateur. Je disais en moi-même : Je vais me plonger dans les délices, et jouir des biens et des douceurs de la vie; mais j’ai reconnu que tout cela n’est que vanité. Je n’ai trouvé dans le ris qu’erreur et illusion : j’ai dit à la joie : pourquoi vous laissez-vous follement séduire? Il vaut mieux, dit-il ensuite, aller dans une maison où tout est en deuil, que dans une autre où l’on se réjouit, et où l’on fait grande chère. Car dans celle-là, l’on voit clairement que tous les hommes doivent mourir; et ceux qui se portent bien pensent à ce qu’ils deviendront un jour. Les sages, ajoute-t-il, ont le cœur où est la tristesse, et les fous où est la joie. Ce sont là les sentiments du Prince le plus éclairé qui fut jamais; et il est d’autant plus croyable, que ce qu’il dit, il le sait non pas tant par la spéculation et par le raisonnement, que par une longue expérience, puisque rien ne lui avait manqué de tout ce que le monde estime : ni richesses, ni plaisirs, ni dignités. Comme donc nous avons raison de ne pas ajouter foi à ce que nous disent des gens ignorants et sans expérience : aussi avons-nous tout sujet de déférer à l'autorité de ce grand Roi, si renommé pour sa sagesse, et qui ne parle que de ce qu’il a éprouvé lui-même. Il dit donc, que vivre dans les délices, et jouir des biens présents, c’est un faux bonheur; il le dit, et cela est vrai, quoique les mondains, à qui le gémissement de la Colombe est très inconnu, ne le puissent croire. En effet, si la vie sensuelle porte avec elle quelque douceur passagère, elle est souvent accompagnée de biens des chagrins, et suivie pour l'ordinaire d’infirmités longues et fâcheuses; et qui pis est, toujours pleine d’une infinité de péchés, dont il faut nécessairement ou se punir soi-même en ce monde, ou être puni à jamais en l'autre. Ce n’est donc pas sans fondement que l’Ecclésiaste assure qu’il n’y a que vanité dans l’abondance des délices, et que c’est en vain qu’on pense trouver quelque chose de solide dans des biens qui passent. Aussi croyait-il, que ceux qui perdent leur temps à rire, sont dans l’erreur. Le ris est directement opposé aux larmes, et la joie à la tristesse. Or c’est un étrange abus que de rire quand on doit pleurer, et c’est s’abuser soi-même sans nulle apparence de raison que de se réjouir dans un temps qui demande de la tristesse et des pleurs. Nous sommes ici dans un exil, loin de la céleste patrie; et la terre où nous habitons, s’appelle la vallée des larmes; nos ennemis nous environnent de toutes parts : pourquoi donc aimons-nous mieux rire que gémir, si ce n’est parce que l'amour du plaisir et l'attache aux biens de la terre, nous aveuglent et nous trompent? Il vaut donc bien mieux entrer dans une maison où tout est en deuil, que dans une autre où l’on fait grande chère. Il est en effet beaucoup plus utile d’être auprès d’un mort, et de pleurer avec ceux qui pleurent, que d’être à table et de se réjouir avec ceux qui sont toujours en festin. Qui le croirait, si le plus sage de tous les hommes, et si l’Esprit même de vérité, dont il est l’organe, ne nous le disait? Cependant ceux qui se conduisent par les lumières de cet Esprit saint, en sont convaincus; et il n’y a que ceux qui suivent l’Esprit de mensonge, qui le trouvent non seulement incroyable, mais même impossible quand la mort viendra, et qu’il faudra comparaître devant le Souverain Juge, alors on sera contraint d’avouer que Salomon a dit vrai, et que le monde est un trompeur. On ne saurait donc être mieux, qu’où tout le monde est en deuil; parce que la vue ou le souvenir d’un mort est un avertissement à ceux qui se portent bien, que dans peu de temps ils mourront, et qu’ils s’y doivent préparer, de peur que surpris par la mort, ils n’aient le malheur d’être jugés, avant que d’avoir expié leurs crimes. Enfin l’Ecclésiaste conclut son discours par cette admirable Sentence : Les sages ont le cœur où est la tristesse, et les fous où est la joie. Certainement c’est être sage que de choisir le meilleur, et être insensé que de préférer le pire. Ceux donc qui après une mûre délibération se déterminent à gémir et à se mortifier en cette vie, où tout passe comme l’ombre, où il n’y a rien d’assuré, rien de stable, rien d’exempt de tentations et de périls, ceux-là méritent le nom de Sages : mais ceux au contraire, qui s’abandonnent de dessein formé au plaisir et à la joie, comme si ces choses ne devaient jamais finir, sont des insensés. De là vient que saint Augustin disait : Tout homme qui est heureux, ou qui pense l’être en ce monde, qui met son contentement dans les voluptés sensuelles, ou dans l’abondance des biens temporels; qui se réjouit vainement de ce faux bonheur, ressemble au Corbeau qui croasse, et ne gémit point; mais celui qui sent les misères de cette vie mortelle, qui se voit éloigné de Dieu, hors de sa patrie, et encore loin de la béatitude éternelle qui nous est promise; celui-là gémit, et tant qu’il gémit là-dessus, ses gémissements sont justes et salutaires. C’est ainsi que parle saint Augustin, qui suivant l’exemple de Salomon, après avoir dit : Tout homme qui est heureux en ce monde; se reprend et corrige ce qu’il a dit, en ajoutant : ou qui s’imagine être heureux; pour marquer que la joie qu’on a dans les voluptés des sens et dans la jouissance des biens temporels, n’est point un bonheur solide, mais le bonheur d’un homme qui rêve, et qui occupé d’un songe agréable, ne s’aperçoit pas de sa pauvreté et de sa misère, ni des dangers où il est alors exposé. Ainsi il ne gémit point comme la prudente Colombe, il n’implore point le secours du Ciel, qui seul peut le rendre heureux : mais il ressemble à cette Colombe simple, qui comme dit le Prophète Osée, va se jeter imprudemment dans les filets du chasseur.
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