|
Livre premierChapitre IVAutres preuves tirées d’Isaïe Isaïe prévoyant les maux extrêmes dont Jérusalem était menacée, les déplore par avance, en disant : Retirez-vous de moi, laissez-moi seul, et je pleurerai amèrement. N’essayez point de me consoler sur le malheur de la fille de mon peuple; et plus bas : Alors le Seigneur, le Dieu des armées vous exhortera à pleurer et à gémir, à vous raser les cheveux, et à vous vêtir de sacs. Mais vous ne songerez qu’à vous réjouir et à passer agréablement le temps, à tuer des veaux et à égorger des moutons : Vous mangerez de la chair, et vous boirez du vin, en disant : mangeons et buvons, nous mourrons demain. Cependant le Dieu des armées m’a dit à l’oreille : Je jure que vous mourrez, avant que ce péché vous soit pardonné. Isaïe pleure le malheur des Juifs, comme le Sauveur pleura un jour celui de Jérusalem, dont il prévoyait la destruction entière. Ce qui le rend si sensible à la ruine de sa patrie, c’est qu’il a pour elle une tendresse de père, et afin qu’on sache que les larmes des pénitents sont très agréables au Seigneur, il représente le Seigneur même, qui voulant faire miséricorde à son peuple, l’exhorte à verser des larmes, à se raser les cheveux et à se couvrir de sacs. Mais parce que ce peuple ingrat et incorrigible ne veut point écouter sa voix, et qu’au lieu de donner des marques d’un sincère repentir, il ne songe qu’à passer le temps, et à faire bonne chère, disant : Mangeons et buvons, car demain nous ne serons plus en vie; Dieu justement irrité proteste qu’il ne leur pardonnera jamais ce péché, et qu’une funeste mort sera la peine du mépris qu’ils ont pour lui et pour ses Ministres. Tout ceci prouve la nécessité des larmes. Car si Israël eût imité le Prophète envoyé de Dieu; s'il eût pleuré ses propres péchés, comme le saint homme pleurait ceux d’autrui; s’il eût écouté le Seigneur, qui pour n’être pas obligé de le punir, l’invitait à la pénitence, il eût sans doute obtenu sa grâce, parce que Dieu ne désire point que le pécheur meure, mais seulement qu’il se convertisse et qu’il vive. Ce ne fut donc que pour le punir de son endurcissement, que Dieu le livra à ses ennemis, et qu’il l’affligea par une très rude et très–longue captivité. Plût à Dieu que les Chrétiens profitassent de cet exemple, et que pendant qu’on les exhorte partout à la pénitence, ils apprissent à la faire : ils apaiseraient par-là, sans doute, la colère de leur Juge, et détourneraient de dessus leur tête une infinité de malheurs tant généraux que particuliers. Mais combien en voyons-nous, qui non moins aveugles que les Infidèles, semblent dire dans leur cœur : Mangeons et buvons, aussi bien mourrons-nous demain. Peut-être disent-ils plus vrai qu’ils ne pensent. Car, quoiqu’ils ne soient pas comme les Athées, qui croient que l’âme périt avec le corps, et qu’un homme mort est réduit à rien; il est pourtant vrai que lorsque s’abandonnant à la débauche, ils ne cherchent qu’à satisfaire leur sensualité, au lieu de jeûner et de gémir sur les désordres de leur vie; la mort les surprend, et ils tombent en un moment dans l’Enfer, où est la seconde mort, la mort éternelle. Saint Jérôme sur Isaïe, laissant à part le sens littéral de ce passage, en fait une application fort naturelle aux persécutions des hérétiques; aussi leur convient-il mieux qu’à tous les autres. Retirez-vous de moi, et n’essayez point de me consoler sur la ruine entière de la fille de mon peuple. L’hérésie ne renverse pas seulement le toit et les murs du grand édifice de l’Église; elle en détruit jusqu’aux fondements. Saint Antoine connut un jour par révélation celle que méditait Arius, et qui devait bientôt éclater. Il en fut touché au-delà de tout ce qu’on peut penser. Saint Athanase, dans la vie de cet admirable serviteur de Dieu, raconte la chose en cette manière. Voici, dit-il, une vision bien triste et bien affligeante. Le saint homme travaillant un jour avec ses frères, qui étaient assis autour de lui, leva tout à coup les yeux au Ciel, et poussa un grand soupir, et Dieu, un moment après, ayant commencé à lui faire voir ce qui devait arriver, il en fut saisi d’une si violente douleur, qu’il en trembla de tout son corps. Il se jeta incontinent à genoux, et prosterné devant le Seigneur, il le conjura, les larmes aux yeux, de détourner par son infinie miséricorde, le crime qui s’allait commettre. Tous ceux qui étaient présents, saisis de frayeur, le prient de leur dire ce qu’il a vu de si lamentable. Les sanglots l’empêchent de parler; il fait un effort, mais il est interrompu : enfin jetant un grand cri, il dit : Mes chers enfants, il vaudrait mieux mourir bientôt, que d’être témoin d’une telle abomination. Ayant dit cela, il est encore obligé de s’arrêter, pour laisser couler ses larmes; puis reprenant la parole avec peine et en sanglotant : L’Église, continue-t-il, est menacée de la plus horrible désolation dont on ait jamais entendu parler. La foi Catholique va être violemment attaquée, et tout ce qu’il y a de plus saint dans le Christianisme, sera renversé par des hommes impies et brutaux. L’événement ne vérifia que trop la vision : car deux ans après l’Arianisme éclata. Voilà ce que dit saint Athanase; mais nous pouvons dire que de nos jours les nouveaux Sectaires ont suscité à l’Église une persécution non moins funeste que toutes celles des siècles passés; et plût à Dieu qu’un Isaïe ou un Antoine nous pût donner des larmes pour déplorer un si grand malheur!
|