Livre premier

Chapitre V

Autres preuves tirées de Jérémie.

Jérémie, au second Chapitre de ses Lamentations, parle ainsi au peuple d’Israël : Versez jour et nuit des torrents de larmes. Ne vous donnez point de repos; et que vos yeux ne cessent jamais de pleurer. Levez-vous, louez le Seigneur durant la nuit, au commencement de chaque veille : épanchez votre cœur, comme de l'eau, en sa présence; levez les mains vers lui, au sujet de vos petits enfants qui sont morts de faim dans toutes les rues.

Le Prophète par ces paroles excite les Juifs à la pénitence, parce qu’ils avaient grièvement offensé Dieu, et qu’après la ruine de Jérusalem, prise et saccagée par le Roi de Babylone, il leur restait encore soixante-dix ans d’une très fâcheuse captivité. Il leur montre bien par-là qu’une véritable pénitence demande des gémissements et des pleurs; et il semble qu’il soit impossible de rien ajouter à ce qu’il en dit.

Versez des torrents de larmes. Il ne se contente pas de quelques larmes, il en veut une si grande abondance, qu’on les puisse comparer à des torrents qui courent avec impétuosité, et auxquels rien ne résiste. Il veut même qu’elles coulent jour et nuit, pour montrer qu’elles ne doivent jamais s'arrêter; tout au contraire des torrents qui vont vite, mais qui sont bientôt à sec. Il faut qu’elles aient, avec la rapidité des torrents, le cours perpétuel des rivières. Pleurer jour et nuit, selon la pensée du prophète, n’est donc autre chose que ne point cesser de pleurer. C’est pour cela qu’il ajoute : Ne vous donnez point de repos, et ayez toujours les larmes aux yeux. Ne vous laissez point aller au sommeil : car il n’est pas temps de vous reposer, lorsque le Seigneur a la main levée sur vous, et qu’il est prêt à vous frapper. Ayez toujours les larmes aux yeux; implorez sans cesse la miséricorde divine, non par la parole, mais par les larmes, non pas de la langue, mais des yeux. Car cette manière de prier est d’une grande efficacité pour fléchir le souverain Juge.

Mais parce que la faiblesse humaine demande quelque repos, on nous avertit de veiller au moins une partie de la nuit, qui est le temps le plus propre pour vaquer à l’Oraison, et pour gémir devant Dieu, Levez-vous, dit le Prophète, et louez le Seigneur durant la nuit; c’est-à-dire, quand vous vous serez un peu reposé durant le jour, appliquez-vous à la prière, et n’attendez pas pour cela que la nuit soit bien avancée. La nuit se divise en quatre veilles; commencez chacune de ces veilles par vous recueillir et par élever votre cœur à Dieu : Épanchez en sa présence votre cœur comme de l’eau; c’est-à-dire, faite-lui un aveu sincère de vos péchés; purgez-en si bien votre cœur qu’il n’y reste rien, comme il ne reste nulle goutte d’eau dans le vase, quand on l’a vidé. Car voici le temps de trouver grâce devant Dieu, en confessant que l’on a péché, et reconnaissant humblement et avec larmes que l’on mérite d’être puni. C’est là le sens que saint Ambroise donne à ce verset du Psaume 61 : Épanchez vos cœurs en sa présence.

Mais ce n’est pas assez de pleurer amèrement nos péchés, il faut encore pleurer ceux de nos frères, et contribuer autant qu’il nous est possible à leur conversion. C’est ce que veut dire Jérémie par ces paroles : Levez les mains vers le Ciel pour l’âme de vos petits enfants qui sont morts de faim dans toutes les rues. Il ne parle pas ici des enfants qui périrent durant le siège de Jérusalem, et qui n’avaient pas besoin de prières. Car, lever les mains au Ciel, selon le style de l’Écriture, c’est implorer le secours de Dieu : ainsi le Prophète disait : Élevez vos mains durant la nuit vers le Sanctuaire, et bénissez Dieu. ce n’est donc pas sans raison que saint Jérôme, ou l’Auteur des Commentaires sur les Lamentations de Jérémie, qui sont attribuées à ce Père, dit que sous le nom de petits enfants, il faut entendre les gens ignorants et grossiers, qui mouraient dans toutes les villes, sans qu’il se trouvât personne pour leur distribuer le pain de la parole de Dieu. et de fait, cette divine nourriture ne manqua jamais plus aux Juifs, qu’après la ruine de Jérusalem, et durant leur captivité dans Babylone. Ils avaient en ce temps-là des Rois sans Religion, des Prêtres sans piété, et tellement ignorants, qu’à peine pouvait-on savoir ce qu’étaient devenues les Écritures. Le peuple infecté des mêmes vices persécutait cruellement les Prophètes envoyés de Dieu, et les seuls Prédicateurs capables de ramener les pécheurs à leur devoir. Jérémie et Ézéchiel en furent les victimes. N’était-il donc pas à propos d’exciter les gens de bien à lever les mains au Ciel, pour le salut de tant de personnes, qui faute de nourriture spirituelle, périssaient de tous côtés dans les rues, c’est-à-dire, publiquement, et aux yeux de tout le monde ?

  Ce que nous venons de dire, peut justement s’appliquer à ces derniers temps aussi déplorables que ceux des anciens Prophètes. Car il y a aujourd’hui une infinité de gens qui se perdent manque d’instruction; et hors des villes Catholiques qui ont reçu et qui conservent encore la pure doctrine de l’Évangile, on ne sait du tout ce que c’est que de manger ce pain divin; comme il arrive parmi les nations infidèles, ou si on le mange, il est corrompu et empoisonné, comme parmi les peuples hérétiques.

     

 

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