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Livre premierChapitre VIAutres preuves tirées d’Ézéchiel. Ézéchiel eut un jour une épouvantable vision, et si nous n’en sommes pas effrayés, jusqu’à en verser des larmes, rien au monde ne sera capable de nous émouvoir. Voici de quelle manière il la décrit. Le Seigneur lui dit : Passez au travers de la Ville, parcourez les rues de Jérusalem, et ceux qui gémissent au sujet des abominations qu’ils y voient commettre, marquez-les de la lettre Thau sur le front. Et je l’entendais qui disait aux Ministres de sa Justice : Allez, suivez-le par toute la Ville, et frappez de tous côtés : Ne vous laissez point attendrir à la vue de ce carnage : Tuez tout, vieillards, jeunes hommes, filles et enfants, n’épargnez personne; seulement gardez-vous bien de toucher à ceux que vous verrez marqués de la lettre Thau sur le front, et commencez par mon Sanctuaire. Cette mystérieuse vision montre qu’il n’y aura de sauvé que ceux qui auront la lettre Thau sur le front : or nul ne porte cette marque que ceux qui gémissent au sujet des abominations que commet le peuple de Dieu. Cette marque, au reste, n’est autre chose que le signe de la Croix. Car si l’on en croit saint Jérôme, la lettre Thau qui est la dernière de l’Alphabet Hébraïque, avait autrefois la figure de la Croix; mais Esdras ayant changé les caractères, elle ne l’a plus. Elle L'avait toutefois encore du vivant de saint Jérôme, parmi les Samaritains, qui avaient toujours gardé les caractères anciens. Le Thau dont parle Ézéchiel, plus ancien qu’Esdras, avait donc certainement la figure de la Croix. Mais qu’est-ce que porter le signe de la Croix sur le front? C’est de ne point rougir des opprobres du Sauveur! Et qui sont ceux qui n’ont point de honte de reconnaître pour leur Roi Jésus crucifié? Ce sont les personnes humbles, douces et patientes, qui ne cherchent point à se venger des injures qu’on leur fait; qui rendent le bien pour le mal, qui méprisent les richesses, qui aiment la pauvreté, qui prennent partout la dernière place, en un mot, qui ne sont point de ce monde corrompu, comme Jésus-Christ n’en était point. Ceux au contraire qui n’on pas au front la marque visible de prédestination, qui par conséquent sont du nombre des Réprouvés, ceux-là gémissent, mais ce n’est pas de voir Dieu grièvement offensé; c’est de se voir maltraités eux-mêmes. Ils souffrent tranquillement qu’on blasphème en leur présence le nom du Seigneur, mais ils se fâchent et s’emportent violemment, pour peu qu’on les choque; ils ne sauraient digérer un léger affront, et ils n’ont point de repos qu’ils n’en aient tiré raison. Quel sujet y a-t-il donc de s’étonner si ces derniers ne se trouvent point parmi ceux qui portent le signe de la Croix sur le front, et si frappés par l’Ange exterminateur, ils périssent, et vont brûler à jamais avec les Démons ? Mais afin qu’on sache que cette terrible vision ne regarde pas seulement les Juifs, mais encore les Chrétiens, saint Jean en rapporte une autre dans laquelle il vit un Ange, qui venait du côté de l’Orient, et qui tenait le sceau du Dieu vivant en la main. Cet Ange se mit à crier aux quatre autres qui avaient ordre de punir les hommes sur terre et sur mer : Ne vous hâtez point de punir les hommes sur terre et sur mer, jusqu’à ce que nous ayons marqué au front les serviteurs de notre Dieu. J’entendis alors, continue le saint Apôtre, que le nombre de ceux qui avaient été marqués, était de cent quarante quatre mille, de toutes les Tribus d’Israël. Je vis ensuite une multitude innombrable de gens de toute nation, de toute tribu, de tout peuple et de toute langue. Ils étaient debout vis à vis du trône, et devant l’Agneau, vêtus de blanc, et portant des palmes en main. Ils chantaient à haute voix : Vive notre Dieu qui est assis sur le Trône, et vive l’Agneau. Ceux dont saint Jean parle en cet endroit, et à qui il vit la lettre Thau marquée sur le front, ce sont les Élus, partie Juifs et partie Gentils; mais les Juifs sont peu en comparaison des Gentils. Car le nombre de ceux-là se réduit à cent quarante-quatre mille, au lieu que ceux-ci sont sans nombre, c’est-à-dire que, quoique Dieu en sache le compte, puisqu’il sait au juste combien ils ont de cheveux, ils surpassent toutefois de beaucoup les autres, par leur multitude qui semble infinie. Que personne au reste ne s’imagine que parce qu’on dit qu’il est impossible de savoir le nombre des Prédestinés parmi les Gentils, il s’ensuive qu’il y aura parmi eux plus d’Élus que de Réprouvés. Il y aura à la vérité un plus grand nombre de Prédestinés parmi les Gentils que parmi les Juifs; mais à parler en général, le nombre des Réprouvés, soit Juifs, soit Gentils, excédera de beaucoup celui des Élus, et voici comme on le prouve : Saint Jean ne compte dans tout Israël que cent quarante-quatre mille Prédestinés : or il est certain que ce nombre n’approche point de celui des réprouvés de cette même nation. Car lorsque les Israélites sortirent d’Égypte, on trouva qu’ils étaient près de six cent mille hommes de pied, sans les enfants et sans une multitude innombrable de petit peuple. Ajoutez donc à ces six cent mille, tous hommes de guerre, les femmes, les petits enfants, les valets et les servantes, vous y trouverez sans doute plus d’un million d’âmes. Depuis ce temps-là, David ayant la curiosité de savoir combien il pouvait lever de soldats dans son Royaume, il s’en trouva jusqu’à treize cent mille. Joignez-y tous les enfants et toutes les femmes qui vivaient alors, joignez-y encore tout ce qu’il y a eu depuis, et tout ce qu’il y aura jamais de descendants d’Abraham, le nombre en sera si grand que les cent quarante-quatre mille Élus dont il est parlé dans l’Apocalypse, ne seront pas la millième partie de celui des Réprouvés. Ce que nous disons ici du peuple Hébreu, se peut dire à proportion du peuple Chrétien. Car ce n’est pas seulement pour les Juifs, c’est encore pour les Chrétiens, qu’étroite est la porte et étroit le chemin qui mène à la vie, dont peu de personnes trouvent l’entrée. C’est aussi également pour les uns et pour les autres que la porte est large et le chemin spacieux qui conduit à la perdition, où il entre une infinité de gens. En effet, celui qui pria le Fils de Dieu de lui dire s’il n’y aurait que peu de personnes qui se sauvassent, ne demandait pas s’il y en aurait peu dans la Judée, mais absolument, s’il y en aurait peu dans le monde. Aussi le Sauveur, sans marquer les Juifs en particulier, répondit en général, que le chemin qui mène à la vie est étroit, et que peu de gens le connaissent. Isaïe voulant désigner le petit nombre de ceux qui se trouveront parmi les Élus, à la fin des siècles, se sert de deux comparaisons terribles, mais naturelles; l’une d’une vigne vendangée, et l'autre d’un olivier dont on a cueilli les olives. Le Seigneur, dit-il, va désoler et ravager toute la terre. Il en sera comme si l’on ramassait quelque peu d’olives, qui restent sur l'arbre, après qu’on l’a bien secoué, ou quelque peu de raisins, qui sont demeurés à la vigne, après qu’on l’a vendangée. Ceux qui resteront, béniront à haute voix le Seigneur, lorsqu’il sera dans sa gloire. Le grand nombre des Réprouvés est donc figuré par la multitude presque innombrable d’olives, qui tombent de l’olivier, quand on le secoue la première fois, et le petit nombre des Prédestinés par le peu d’olives qu’on trouve sur l’arbre après la récolte. On compare aussi le grand nombre des Réprouvés, à celui des grappes dont les vignes sont chargées avant la vendange, et le petit nombre des Élus au peu de raisins qui échappent à la main et aux yeux des vendangeurs. C’est pour cela que tous les Saints loueront le Seigneur, quand ils verront ses ennemis à ses pieds. Maintenant ce n’est pas merveille, si ayant le signe de la Croix gravé sur le front, ils gémissent, lorsqu’ils voient les crimes énormes qui se commettent sur la terre, et les peines épouvantables qui sont préparées aux méchants. Mais il ne faut pas omettre ce que dit Ézéchiel, ou plutôt ce que Dieu dit par la bouche de ce Prophète : Commencez par mon Sanctuaire, Dieu ordonne aux exécuteurs de sa justice, de commencer par les Prêtres. Car, au Jugement dernier, ceux qu’on épargnera le moins, seront les Ministres de l’Autel, est les Pasteurs du troupeau de Jésus-Christ, qui par leurs paroles et par leurs exemples doivent enseigner aux peuples le chemin du Ciel. Saint Grégoire, qui connaissait mieux que personne cette obligation, la leur représente en ces termes : Je ne crois pas, mes très chers Frères, que personne nuise plus à la cause de Dieu que les Prêtres, lorsqu’au lieu de travailler à la correction des autres, selon qu’ils y sont obligés, ils les gâtent par leurs mauvais exemples; lorsqu’il arrive que nous tombions dans les désordres dont nous devrions détourner nos frères, lorsque nous nous appliquons à toute autre chose qu’à procurer le salut des âmes, lorsque nous n’avons en vue que nos propres intérêts, lorsque nous aimons passionnément les biens de la terre, et que nous recherchons avec ardeur la gloire du monde. On peut lire toute l’Homélie d’où ce passage est tiré. On peut lire aussi la lettre des saint Augustin à Valère son Évêque, et le Sermon de saint Bernard sur ces paroles : Voilà que nous avons tout quitté. On verra en quel effroyable danger sont les méchants Prêtres. Que si l’on est peu touché de ce que disent les Saints, qu’on écoute au moins le Saint-Esprit, qui fait ces reproches et ces menaces aux Prêtres dans Malachie. La bouche du Prêtre conserve la science, et c'est de lui que l’on apprendra la Loi, parce qu’il est l’Ange du Seigneur, du Dieu des armées; mais pour vous, vous avez quitté le bon chemin, et vous avez scandalisé beaucoup de personnes par le mépris de ma Loi. Vous avez rendu inutile mon alliance avec Lévi, dit le Seigneur des armées. Comme donc vous n’avez pas suivi mes voies, et que dans vos jugements vous avez eu moins d’égard à la sainteté de ma Loi qu’à la qualité des personnes, je vous ai humiliés devant tous les peuples. Si le Seigneur avait tant de peine à supporter la négligence des Prêtres de l’ancienne Loi, combien plus doit-il avoir en horreur les méchants Prêtres de la Loi nouvelle, qui est sans comparaison plus pure et plus sainte que l'ancienne ?
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