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Livre premierChapitre XQuelques exemples tirés de l’Écriture, qui prouvent la nécessité de la pénitence et des larmes en cette vie. Nous voyons dans les Livres saints plusieurs exemples de personnes qui ont employé les larmes pour apaiser la juste colère de Dieu. Le premier qui se présente est celui de toute la République des Hébreux, dont il est parlé au Livre des Juges (c.2.). l’Ange du Seigneur ayant fait à ce peuple ingrat des reproches et des plaintes de la part de Dieu sur ses infidélités, ils jetèrent de grands cris, et se mirent à pleurer. Le lieu même où cela se fit, s’appela le lieu des pleurants, ou le lieu des larmes. Or il parut bien dans la suite que leurs larmes étaient sincères, et qu’elles partaient du cœur, puisqu’elles eurent la force de les remettre en grâce avec Dieu, et qu’ils le servirent constamment depuis, sous la conduite de Josué et des Anciens, qui vécurent longtemps après lui. Les pleurs véritables et salutaires sont donc celles qui produisent un changement de mœurs entier et constant. Le second exemple semblable au premier, se trouve dans le même Livre des Juges (c.20.), où nous lisons que les Enfants d’Israël s’assemblèrent tous dans la maison de Dieu, et que là étant assis, ils commencèrent à pleurer devant le Seigneur, qu’ils jeûnèrent ce jour-là jusqu’au soir, et qu’ils offrirent à Dieu des Holocaustes et des Hosties pacifiques. Apprenez de là combien est ancienne la coutume des Fidèles de tâcher à apaiser Dieu par les larmes, par les jeûnes, par les oblations et les sacrifices. Le troisième exemple est celui du Prophète Roi, qui avait reçu de Dieu un don tout particulier pour toutes sortes de larmes. En premier lieu, il pleura très amèrement son adultère et son homicide; car voici ce qu’il en écrit lui-même : J’ai tant gémi que je n’en puis plus. Toutes les nuits je laverai et j’arroserai mon lit de mes larmes. Il faut peser chaque mot, pour bien connaître quel était l’excès de la douleur de cet illustre pénitent. J’ai tant gémi que je n’en puis plus. Il veut dire qu’il avait gémi si longtemps et avec tant de violence, qu’il en était tout épuisé et tout languissant; il ne veut pas néanmoins en demeurer là, il est résolu de continuer. Je laverai mon lit de mes larmes, ajoute-t-il, et ce sera là toute mon occupation pendant le silence de la nuit, qui est le temps le plus propre pour pleurer devant le Seigneur, comme étant celui où l’on est le moins dissipé et le moins distrait. Il dit donc qu’il passera les nuits entières à pleurer amèrement ses péchés. Remarquez bien ce mot, je laverai; car pour laver et pour emporter toutes les taches, il faut beaucoup d’eau : et deux ou trois gouttes ne suffiraient pas. Saint Jérôme traduit de l’Hébreu : J’inonderai mon lit, ce qui demande une grande abondance de larmes. Il confirme la même chose par les paroles suivantes : J’arroserai mon lit de mes pleurs. Arroser son lit, c’est répandre des ruisseaux de larmes. Il est donc constant que David a eu la première espèce de larmes; mais il ne se contentait pas de pleurer ses propres péchés, il pleurait aussi ceux d’autrui. Car en parlant des pécheurs, selon l’interprétation de Théodoret et d’Euthyme, il disait : Il a coulé de mes yeux comme des torrents, parce qu’ils n’ont pas gardé votre Loi; et plus bas : mon zèle m’a fait sécher de tristesse, parce que mes ennemis n’ont pas observé vos Commandements. Pour ce qui est de l’autre espèce de pleurs qui vient de l’amour, ou d’un désir véhément, il l’a eue aussi, et il n’en faut point d’autre preuve que ce qu’il disait à Dieu; Vous voyez, Seigneur, tous mes désirs, et je ne puis vous cacher mes gémissements. Et ailleurs : Mon âme brûle de soif et meurt d’impatience d’aller à Dieu, qui est le Dieu fort et le Dieu vivant. Quand irai-je à lui ? Quand paraîtrai-je devant la face de mon Dieu ? J’ai fait de mes larmes ma nourriture ordinaire pour le jour et pour la nuit, pendant qu’on me demandait à toute heure : Où est votre Dieu ? Ainsi ce Prophète toujours brûlant de l’amour de Dieu, toujours soupirant après le Ciel, s’entretenait dans ces saints désirs, et s’en faisait une agréable nourriture. Son exemple mérite bien d’être proposé à toutes sortes de personnes ; car c’était un Prince très sage, qui pouvait dire hardiment et sans vanité : Je me suis rendu plus habile que les vieillards, et j’ai surpassé en science tous ceux qui m’ont enseigné. On ne doit donc pas attribuer ses larmes à simplicité ou à ignorance. D’ailleurs c’était un saint homme, un homme formé selon le cœur de Dieu, comme saint Paul le témoigne, et par conséquent ses larmes ne pouvaient être que très agréables au Seigneur. Enfin il avait un Royaume à gouverner, des peuples à contenir dans le devoir, des guerres à soutenir, sans compter les soins qu’une nombreuse famille lui devait donner, et qui servent souvent de prétexte aux gens du monde, pour se dispenser des exercices de la pénitence et de l’oraison. Sans doute qu’au Jugement il condamnera ces Chrétiens lâches et indévots, lui qui au milieu de tant d’occupations, trouvait assez de loisir pour prier sept fois le jour, et même la nuit, et qui priait, non comme la plupart des gens sans attention et sans ferveur, mais en joignant à la prière les soupirs, les larmes, et des désirs très ardents de servir son Dieu. que s’il condamne les Rois et les peuples, à combien plus fortes raisons condamnera-t-il les Prélats, les Prêtres et les Religieux, qui sont obligés par leur profession de s’adonner davantage à la pénitence et à la prière ? Après David, qui n’admirera Jérémie, cet homme de Dieu, qui plein de l’esprit de componction, gémissait et pleurait sans cesse, et qui ne pouvant s’empêcher de verser des larmes, s’écriait : Qui donnera de l’eau à ma tête, et fera de mes yeux deux sources de larmes? Que nos yeux fondent en pleurs, et qu’il coule de nos paupières des larmes en abondance. Passons du vieux Testament au nouveau. Le premier sur qui nous devons jeter les yeux pour apprendre à bien pleurer, c’est Jésus-Christ même, qui sachant mieux que personne discerner le bien du mal, a condamné par son exemple aussi bien que par ses paroles, l’erreur de ceux qui préfèrent le ris aux pleurs, puisque l’Écriture ne dit point qu’il ait jamais ri, et qu’elle assure qu’il a pleuré et gémi en bien des rencontres. Il est vrai qu’un jour il eut un transport de joie et d’une joie spirituelle, en considérant combien ses Disciples profitaient de ses instructions : mais ni la joie spirituelle, ni la paix de l’âme, ne sont point incompatibles avec les gémissements que cause le Saint-Esprit; au contraire ils en sont le principal fruit, et c’est pour cela que David tout pénétré d’un vif regret de ses fautes, disait hardiment à Dieu : Vous me direz à l'oreille quelque mot de consolation et de douceur : Mes os, après avoir été humiliés, commenceront à se réjouir. Premièrement donc le Sauveur ne peut retenir ses larmes, lorsque sur le point d’entrer en triomphe dans Jérusalem, il se représenta la ruine de cette Ville infortunée, et le malheur éternel d’une infinité de ses habitants. Il pleura aussi la mort de Lazare son ami, lorsqu’il vit Marie Magdeleine tout éplorée avec une troupe de Juifs en larmes auprès du tombeau. Peut-être que le véritable sujet de ses leurs, selon la pieuse pensée de quelques-uns, fut de voir que le mort en ressuscitant et en quittant le doux repos dont il jouissait dans les Limbes, allait rentrer dans une vie pleine de périls et de misères. Il pleura encore dans le Jardin, lorsque prosterné devant son Père, il le conjura de détourner de lui le Calice qu’il lui présentait. Car bien que les Évangélistes ne fassent pas mention de ses larmes, le sang qui coula de toutes les parties de son Corps, fait assez voir que les larmes ne pouvaient guères lui manquer. Il pleura enfin sur la Croix, comme saint Paul le témoigne; lorsqu’il dit que dans le temps de sa vie mortelle, ayant offert avec de grands cris et beaucoup de larmes ses prières à celui qui le pouvait sauver de la mort, il fut exaucé à cause de son profond respect. La prière dont parle l’apôtre est celle-ci : Mon Père, je remets mon âme entre vos mains. Car ce fut en le faisant qu’il jeta un fort grand cri, comme remarque saint Luc, et qu’il demanda d’être sauvé de la mort, c’est-à-dire, de ressusciter promptement, et de sortir au plus tôt du sein de la mort. C’est aussi celle qui fut exaucée, tant à cause du grand respect qu’il eut pour son Père, qu’en considération de la dignité de sa personne. Mais outre ces larmes, on peut dire vraisemblablement qu’il en répandit bien d’autres durant sa retraite de quarante jours dans le Désert, et lorsqu’il passait les nuits entières en oraison, sur des montagnes, et dans des lieux écartés. Car si L’Esprit nous fait prier, et prie pour nous avec des gémissements qu’on ne saurait exprimer, ainsi que parle saint Paul; combien plus celui sur qui ce divin Esprit était descendu du Ciel, sous sa forme d’une Colombe, celui qui avait reçu la plénitude de ses dons, et de l’abondance duquel nous avons reçu tout ce que nous en avons, devait-il prier avec de semblables gémissements, et une pareille effusion de larmes ? Puis donc que le Fils de Dieu, notre maître et Notre-Seigneur, nous a déclaré en termes exprès, que ceux qui pleurent sont heureux, et que ceux qui rient sont malheureux; qu’il a pratiqué lui-même ce qu’il nous a enseigné : certainement des Disciples aussi dociles, et des serviteurs aussi fidèles que nous sommes obligés de l’être, doivent fuir les occasions de plaisanter et de rire, et avoir même en horreur les joies et les divertissements du monde. Bien plus, il faut qu’ils se plaisent à gémir et à pleurer, et qu’ils demandent instamment à Dieu le don des larmes. Marie Magdeleine est celle qui a le mieux imité en ceci le Sauveur du monde; car je ne parle point de la bienheureuse Vierge, non que je doute qu’elle ait pleuré, mais parce que les Évangélistes n’en disent rien. Cette sainte Pénitente n’eut pas plus tôt formé le dessein de changer de vie, qu’elle alla trouver le Sauveur, lui arrosa les pieds de ses larmes, les lui essuya avec ses cheveux en présence d’un grand nombre de personnes, et dans le temps qu’il était à table chez un Pharisien. Ainsi n’ayant pas eu honte de pécher, elle n’eut pas honte non plus de donner des marques visibles de son repentir. L’abondance de ses larmes lui mérita cette réponse du Sauveur : Allez, vos péchés vous sont remis. Sa grâce lui fut accordée sur l’heure, elle obtint une abolition entière de ses péchés ; et de plus, elle fut si bien affermie, ou pour user des termes de l’Apôtre, si bien fondue dans la charité, qu’une autre fois ayant encore lavé les pieds de son maître, elle les lui essuya, comme auparavant, avec ses cheveux; mais les larmes qu’elle versa en cette dernière occasion, n’étaient pas des larmes amères, comme sont celles qui viennent de componction et de douleur; elles étaient douces, et de la nature de celles que produit un amour tendre et ardent. Elle pleura aussi proche du Sépulcre de Jésus, sans pouvoir se consoler, jusqu’à ce qu’elle eût le bonheur de le voir ressuscité, et de lui parler la première. O heureuses larmes, qui en un moment ont pu faire d’une pécheresse publique une Sainte, dont le mérite a presque égalé celui des âmes les plus innocentes ! Aussi depuis ce temps-là elle se tint inséparablement attachée et à Jésus l’Agneau sans tache, et à Marie Vierge des Vierges, et à saint Jean, si distingué des autres Disciples par sa pureté virginale. Après Marie Magdeleine vient le Prince des Apôtres, qui la nuit de la Passion de son Maître, pécha très grièvement, non par une noire malice, comme Judas, mais en partie par fragilité, en partie aussi par trop de confiance en ses forces. Car il avait juré au Sauveur, que quand il lui en devrait coûter la vie, il ne le renoncerait jamais; et néanmoins dès qu’il vit qu’on le connaissait pour Disciple de Jésus, il le renonça lâchement jusques à trois fois, mais il rentra bientôt en lui-même, et pleura amèrement, comme remarquent les Évangélistes; de sorte que par ses pleurs il effaça tellement son crime, qu’on ne lit point que jamais depuis le Sauveur lui en ait fait le moindre reproche. Joignons saint Paul à saint Pierre, puisqu’ils ont été tous deux, et de grands pécheurs, et de parfaits Pénitents. Saint Paul avoue qu’il avait persécuté l’Église de Dieu, qu’il avait été un blasphémateur, et un ennemi déclaré des Disciples de Jésus-Christ; mais où il y avait eu beaucoup de péchés, la grâce, et surtout celle de la Pénitence et des larmes, y fut encore plus abondante. Car voici comme il en parla lui-même en une assemblée de Prêtres : Vous savez comme je me suis comporté, tant que j’ai vécu avec vous, depuis mon arrivée en Asie; comme j’ai servi le Sauveur avec toute humilité, et avec beaucoup de larmes. Et plus bas : Je n’ai cessé ni jour ni nuit durant trois ans de vous avertir les larmes aux yeux, de votre devoir. Saint Paul donc, lorsqu’il priait, joignait les larmes à la prière pour en obtenir plus facilement et plus sûrement l’effet; et lorsqu’il prêchait, il mêlait les gémissements avec les paroles, pour persuader plus vivement ce qu’il enseignait. Car il savait, et l’expérience le lui avait assez appris, que les pleurs ont une vertu admirable, tant auprès de Dieu qu’auprès des hommes, pour gagner leur amitié. Au reste ce que nous lisons là-dessus de saint Pierre et de saint Paul, nous le lirions certainement des autres Apôtres, si saint Luc ou quelqu’autre Auteur Canonique eût écrit leur vie. Car les Disciples ayant tous le même Maître, et le même Esprit, qui prie pour les Justes avec des gémissements ineffables, et étant les principaux membres de cette Église, qui est la Colombe qui gémit toujours, on ne peut douter qu’eux et les Saints leurs imitateurs n’aient reçu et mis en usage le don de componction et des larmes.
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