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Livre premierChapitre XIAutres preuves tirées tant de la doctrine que des exemples des Saints. Considérons maintenant les témoignages et les exemples des Saints, qui par leurs œuvres aussi-bien que par leurs écrits, ont confirmé et fait passer jusqu’à nous la doctrine des Apôtres sur l’utilité des gémissements et des pleurs. Commençons par saint Cyprien, qui parlant à ceux qui revenaient à l’Église après leur chute : Plus notre péché est grand, leur dit-il, plus il faut que nous tachions de l’effacer par nos larmes. Nous devons passer le jour dans le deuil, employer les nuits à veiller et à pleurer; tout ce que nous avons de temps, le consacrer aux exercices de la Pénitence, coucher à terre et sur la cendre, porter partout le sac et le calice. O que ce discours semble dur ! Hé, que dirait aujourd'hui ce Prédicateur si sévère, en voyant une infinité de pécheurs qui s’imaginent avoir pleinement satisfait à Dieu, quand ils se sont confessés sans jeter le moindre soupir ? Saint Basile dans l’éloge de sainte Julitte, loue aussi beaucoup les larmes de la Pénitence. Lorsque vous voyez, dit-il, quelqu’un de vos frères pleurer ses péchés, pleurez avec lui par compassion. Que le souvenir du péché vous tire les larmes des yeux, et les sanglots du cœur. Saint Paul déplorait l'aveuglement des ennemis de la Croix; Jérémie déplorait l’infidélité et la ruine de son peuple; et parce que les larmes ordinaires ne suffisaient pas pour les pleurer comme il eût voulu, il priait Dieu de lui en donner une source qui ne tarit point. Ce sont-là les larmes salutaires que la parole de Dieu recommande. Saint Ambroise, dans le Livre qu’il a fait pour une fille qui s’était laissé abuser, lui dit ces paroles : Que les pleurs, comme des ruisseaux, coulent de ces yeux, qui ont jeté sur un homme des regards qui n’étaient pas innocents. Le même Saint ayant interdit à l’Empereur Théodose l’entrée de l’Église, à cause de son péché, ce religieux Prince voulut donner à tous les Fidèles un exemple rare de pénitence et d’humilité. Car pour s’excuser, ayant remontré que David avait failli, qu’il avait commis un adultère et un homicide, saint Ambroise lui repartit : Comme vous avez imité David pécheur, imitez David pénitent. Il employa donc plusieurs mois à pleurer son crime en particulier, et obtint enfin la permission de revenir à l’Église : il y rentra, et y parut devant tout le peuple, non pas debout, ni même à genoux; mais prosterné, le visage contre terre, tout baigné de larmes, s’arrachant les cheveux, et se frappant la poitrine, tachant en un mot de satisfaire en toutes façons à Dieu et aux hommes. Voilà ce qu’en écrit Théodoret, qui parlant ailleurs de la manière de faire pénitence, dit ces paroles : Il y a des plaies qu’on reçoit après le Baptême, qui ne sont pas incurables; mais on n’y remédie pas, comme on fait à celles qu’on a reçues auparavant; il faut quelque chose de plus que la foi pour les guérir ; il faut des larmes, des gémissements, des jeûnes, des prières et d’autres sortes de pénitence, selon la grandeur du crime que l’on a commis, sans cela nous n’avons point accoutumé de recevoir les pécheurs, et c’est la règle que l’Église nous a prescrite. Saint Grégoire de Nazianze est du même sentiment : Je reçois, dit-il, les pénitents, quand je les vois fondre en larmes. O s’il vivait en ce siècle, qu'il recevrait peu de pénitents ! Saint Jérôme écrivant à Rustique, lui montre par plusieurs passages de l’Écriture, qu'il devait pleurer. Et dans son Épître à Sabinien, il dit qu'il l’a averti de se concilier par des larmes continuelles la miséricorde de Dieu. il dit de lui-même, qu’après avoir bien pleuré, et bien contemplé le Ciel, il s’imaginait quelquefois être au milieu des Chœurs des Anges. Dans l’Épitaphe de sainte Paule, qui est un éloge de cette admirable veuve, il la loue de ce qu'il semblait que ses yeux fussent des fontaines de larmes, et qu’à la voir pleurer de légères fautes, on l’eût cru coupable de quelques péchés énormes. Saint Augustin, au huitième Livre de ses Confessions, Chapitre douze, décrit ainsi sa Pénitence : Après de profondes réflexions, qui me rappelèrent dans l’esprit toutes mes misères, il s’éleva tout à coup au-dedans de moi une violente tempête, qui allait être suivie d’un déluge de larmes. Voyant cela, ajoute-t-il, je m’allais jeter sous un figuier, et là je donnai toute liberté à mes larmes; il en coula comme des ruisseaux de mes yeux, et je ne pouvais vous faire, ô mon Dieu, un Sacrifice plus agréable. Voilà comme cet illustre Pénitent pleurait ses désordres, avant même qu’il eût reçu le Baptême. Qu’eût-il fait, si après l’avoir reçu, il fût tombé dans quelque grand crime ? Combien ce Catéchumène condamnera-t-il, un jour, de Chrétiens régénérés par le Baptême ? Malheur à nous, qui après cette divine renaissance, continuons à pécher et ne pleurons point ! Possidius écrit dans la vie de ce saint Docteur, que durant sa dernière maladie, il fit attacher autour de son lit les Psaumes de la Pénitence, et qu’il les lisait en versant beaucoup de larmes, quoique depuis sa conversion il eût mené une vie très-sainte. C’est là être sage, c’est connaître la malice du péché, c’est apporter à un grand mal le remède nécessaire. Saint Chrysostome faisant le portrait d’un homme de bien, tel qu’étaient les premiers Fidèles : Cet homme, dit-il, méprise les choses présentes; il est toujours dans des sentiments de componction, il ne cesse de pleurer, et c’est là tout son plaisir. Car rien ne l’attache plus étroitement à Dieu, que ces larmes qui procèdent de la haine du péché, et de l’amour de la vertu. Le même Père nous enseigne ailleurs, que durant toute la vie il faut pleurer et gémir, afin que l’âme ainsi occupée, ait honte enfin de s’abandonner au péché. On serait trop long, si l’on voulait recueillir tous les endroits de ses ouvrages, où il relève le mérite et l’utilité des larmes. Saint Grégoire, au troisième Livre de ses Dialogues, chapitre trente-quatre, parlant des larmes de la pénitence, veut qu’avec de grands gémissements, nous conjurions le Créateur de nous en communiquer le don. Il rapporte en un autre endroit l’exemple de saint Cassie, Évêque de Narni, qui, quand le temps du Sacrifice approchait, fondait en larmes, et avec un cœur contrit, s’offrait lui-même en holocauste au Seigneur. Effacez donc, conclut-il, effacez, mes très chers Frères, vos iniquités par vos pleurs, rachetez-les par vos aumônes, expiez-les par vos Sacrifices. Enfin saint Bernard marquant toutes les journées que font ceux qui marchent dans la Loi de Dieu, les réduit à six, dont la première s’appelle le gémissement intérieur. Quiconque ne commence point par-là, espère en vain de parvenir à quelque chose de plus élevé et de plus parfait. Ailleurs exhortant ses Religieux à la componction : Songez dit-il, que Dieu est votre Créateur, qu’il est votre Bienfaiteur, qu’il est votre Père, qu’il est votre Maître ; vous avez péché contre tous ces titres ; faites-vous de chacun un juste sujet de pleurer. Tous les Écrivains sacrés sont pleins de semblables sentiments, et rien ne s’accorde mieux avec la pratique des Saints.
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