Livre premier

Chapitre XII

Dernières preuves tirées de l’autorité de l’Église.

Je finirai ce premier Livre par une preuve que me fournit l’autorité de l’Église. Souvenons-nous donc que l’Église Catholique, notre mère, dans les Hymnes qu’elle chante à chaque Heure de l’Office, nous exhorte fort souvent à pleurer et à gémir. C’est elle qui a ordonné qu’on dise à la fin de Laudes, et à la fin de Complies, en l’honneur de la Sainte Vierge, l’Antienne Salve Regina, où entre autres choses que nous disons à cette Vierge incomparable, nous lui adressons ces paroles : Nous, enfants d’Ève, bannis en ce monde, nous vous réclamons, et nous soupirons vers vous, gémissant, pleurant en cette vallée de larmes. Plût à Dieu que l’on chantât ces Hymnes sacrées avec plus de dévotion et de respect qu’on ne le fait communément; car beaucoup d’Ecclésiastiques y sont si peu attentifs, qu’ils paraissent ne pas entendre ce qu’ils disent, ou que s’ils l’entendent, ils n’y font aucune réflexion; qu’ainsi lorsqu’ils pensent attirer les bénédictions de Dieu par les louanges qu’ils lui donnent, ils l’irritent davantage par leurs mensonges ; car n’est-ce pas mentir à Dieu, que de lui dire qu’on gémit, qu’on pleure, pendant qu’on ne jette aucune larme, qu’on est sec et sans dévotion, que peut-être même on rit, ou qu’on songe à toute autre chose ? Qu’y a-t-il à espérer de la miséricorde de Dieu, si les sentiments ne s’accordent pas avec les paroles, et que le cœur démente la langue ? Quelle excuse pouvons-nous avoir pour assurer hautement que nous faisons une chose, qu’en effet nous ne faisons point, comme si Dieu, qui remplit le Ciel et la terre, n’avait pas des yeux et des oreilles partout, et qu’on pût impunément se moquer de lui ?

À l’égard de la Sainte Vierge, espérons-nous en être écoutés favorablement, quand nous lui disons : O Reine du Ciel, nous enfants d’Ève, bannis en ce monde, nous vous réclamons, et nous soupirons vers vous, pleurant, gémissant en cette vallée de larmes; espérons-nous, dis-je, qu’elle daigne nous écouter, si dans ce temps-là, nous ne songeons seulement pas que nous sommes enfants d’Ève; si nous ne poussons point de soupirs vers la Mère de miséricorde, si nous ne pleurons ni ne gémissons; si au contraire nous chantons gaiement sans tâcher de nous élever en esprit de cette vallée de larmes à la montagne de Dieu, sans même penser qu’il y ait une vallée de larmes, ni que nous soyons ici-bas dans un exil, et étant peut-être alors si fort attachés à la terre, qui est le lieu de notre bannissement, que si nous pouvions y vivre à jamais, nous oublierions tout à fait notre céleste patrie ?

Souvenez-vous donc, Seigneur, qui êtes plein de miséricorde, de douceur et de bonté, souvenez-vous que nous ne sommes que poudre et que cendre; guérissez nos plaies et soulagez nos misères; envoyez-nous votre Saint-Esprit, afin qu’il nous montre à prier avec de grands gémissements; et que par son souffle divin, il fasse fondre et couler les eaux ; faites au moins, que si les larmes nous manquent, les soupirs ne nous manquent pas, et si enfin vous nous jugez indignes de cette grâce, ne nous ôtez pas l’envie de la demander, ni l’espérance de l’obtenir.

     

 

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