Livre SECOND

Chapitre XII

Douzième source des larmes : Les tentations qu’on a à souffrir dans le chemin du salut.

Il reste encore une douzième source de larmes, et ce sont les tentations, qu’il faut soutenir dans la voie du Ciel. Quiconque aime Dieu, et brûle d’envie de le voir, souffre avec peine les tentations qui l’empêchent de courir à lui, et est obligé de ne rien omettre pour les surmonter. Il gémit, il pleure, et s’écrie à tout moment : Seigneur, ne permettez pas que nous succombions à la tentation, mais délivrez-nous du mal. Voyons donc premièrement ce que c’est que le tentations, et examinons ensuite d’où elles viennent, et quels en sont les instruments et les causes.

Ceux qui nous attaquent le plus violemment, ce sont les Démons, qui non contents de nous tenter, nous accusent devant Dieu, lorsque nous avons consenti à la tentation. Ils nous dressent partout des embûches, et nous n’avons point d’ennemis plus à craindre qu’eux. Ils sont donc et Tentateurs et accusateurs tout ensemble, et l'Écriture nous marque distinctement l’un et l’autre. Celui d’entre eux, qui osa tenter Jésus-Christ dans le désert, est appelé Tentateur dans l’Évangile; et il n’y a point de nom qui convienne mieux au malin Esprit. Saint Paul avertit tous les fidèles de prendre garde qu’ils ne soient tentés par celui qui tente, c’est-à-dire, par le Démon, par le vieux Serpent, dont le propre est de tenter. Saint Pierre, lorsqu’il reprit Ananie d’avoir menti au Saint-esprit : Pourquoi, lui dit-il,  avez-vous prêté l’oreille aux suggestions de l’ennemi, qui vous tentait? Enfin saint Jean voulant prémunir les premiers Chrétiens contre les persécutions, dont ils étaient menacés, leur prédit que le Démon devait faire emprisonner quelques-uns d’eux, afin qu’ils fussent tentés et mis à l'épreuve.

Mais si le malin Esprit fait tous ses efforts pour nous porter au péché, il nous en accuse dès qu’il est commis : et c’est ce que nous apprend le même Apôtre qui en parle ainsi : l’Accusateur de nos frères, qui les accusait jour et nuit devant notre Dieu, fut précipité dans l’abîme. Sur quoi saint Grégoire dit ces paroles : Il nous accuse durant le jour, lorsqu’il fait voir que nous abusons de la prospérité, et il nous accuse durant la nuit, lorsqu’il montre que nous manquons de patience dans l’adversité. Il accusa Job, en disant de lui : Est-ce donc, Seigneur, que Job vous sert gratuitement et pour rien ? Vous avez mis à couvert de tout péril et sa personne et sa famille, et tout ce qui lui appartient; vous avez béni ses travaux, et son bien s’est fort accru et multiplié sur la terre. Mais étendez un peu votre main, frappez-le, et le dépouillez de tout ce qu’il a, et vous verrez s’il vous bénira, et s'il ne murmurera pas ouvertement contre vous. Je pourrais alléguer ici plusieurs visions, où le Démon a paru, disputant avec le bon Ange sur le sujet de quelque personne qu’il accusait, et que le bon Ange défendait à l’article de la mort. Celle que rapporte saint Athanase dans la vie de saint Antoine, est célèbre. D’un côté cet ennemi du genre humain accusait le saint Abbé, et de l’autre les Anges le défendaient. On sait ce qui en arriva. Ce que nous avons à recueillir de tout ceci, c’est que les Démons portent aux hommes une haine implacable, et qu’on n’a jamais plus de sujet de s’en défier, que lorsqu’ils couvrent leur malice de vaines promesses ou de biens, ou de plaisirs.

Mais voyons quelles sont les qualités de ces Tentateurs, et si le nombre en est grand. Premièrement ils sont très rusés, tant à cause de leur nature toute spirituelle, qu’à cause de l’habitude qu'ils ont depuis si longtemps de tenter les hommes. C’est pourquoi saint Paul, qui connaissait leurs artifices, ne se contente pas de dire qu’ils sont fins et malicieux, mais il les appelle Malices spirituelles, répandues dans l’air.  Sa pensée est qu’il n’y a point de créature plus maligne au monde, que c’est la malignité même; qu’ils règnent dans l’air, et que de là ils observent tout ce que les hommes font sur la terre.

De plus ils sont très puissants, et si Dieu ne les arrêtait, ils feraient partout d’étranges ravages. Saint Paul leur donne la qualité de Princes et de Puissances, et dit que ce sont eux qui gouvernent ce bas monde plein de ténèbres, où règnent l’ignorance, l’erreur et le vice. Saint Pierre nous les représente sous la forme de Lions rugissants : Saint Jean en vit un qui ressemblait à un grand Dragon. Hé! Quelle bête y a-t-il qui soit plus furieuse que le Lion et le Dragon ? Dieu lui-même nous en fait dans Job une terrible peinture. Il nomme le Démon Léviathan, et dit qu’ici-bas il n’est point de force pareille à la sienne; qu’avec cette force, qui lui est naturelle, il ne craint personne. Mais enfin ces ennemis si rusés et si puissants, sont-ils en grand nombre? Il y en a tant qu’on ne les saurait compter. Tout l'air qui environne la terre, en est rempli, et s’ils avaient des corps, comme nous, ils obscurciraient le Soleil en plein midi. Écoutons ce que saint Jérôme dit là-dessus. L’opinion commune des Docteurs est que l'air, qui sépare le Ciel de la terre, et auquel on donne le nom de vide, est plein de puissants ennemis. Les visions de saint Antoine, rapportées par saint Athanase, confirment cette vérité.

Si nous voyions donc des yeux du corps ces montres affreux, qui de nous ne tremblerait? Qui ne quitterait le divertissement et le jeu ? qui ne jetterait les hauts cris? Qui ne lèverait les mains au Ciel pour en implorer le secours? Et si de plus nous voyions la terre toute couverte de pièges et de filets, comme saint Antoine la vit autrefois, de combien notre frayeur s’augmenterait-elle? Avec combien plus d’empressement invoquerions-nous celui qui seul est capable de nous sauver de tant d’ennemis? Mais s’ils ne sont pas visibles, ils n’en sont ni moins présents, ni moins déterminés à nous nuire.

Considérons maintenant quels sont les pièges dont les Démons ont accoutumé de se servir, pour nous engager au péché? Ce qu’on peut dire en général, c’est qu’il y en a autant d’espèces, que nous avons de facultés ou sensitives, ou raisonnables. Mais si nous voulions les marquer tous en particulier, nous trouverions que le nombre en est infini. Car toutes les créatures, comme dit le Sage, sont à l’homme autant de sujets de tentation et autant de pièges où les insensés se laissent prendre. Et l’Ecclésiastique, pour nous obliger de nous tenir sur nos gardes, nous avertit que le chemin où nous marchons, est rempli de tacs, et qu’on nous y dresse partout des embûches.

La première faculté de l’âme, c’est l’entendement, qui précède la volonté raisonnable. Sa tentation, c'est la gloire : car les animaux sans raison n’en sont point touchés. Qui pourrait dire combien la gloire a de charmes, et combien c'est un grand mal que l’orgueil, qui fait son idole de l’honneur mondain? Le cœur du superbe, dit l’Ecclésiastique, est aussi aisé à surprendre, que la perdrix qu’on fait entrer dans les filets, ou que le chevreuil qu’on engage dans les toiles. Saint Paul en était si persuadé, qu’il recommandait à Timothée de n’élever à l’Épiscopat aucun Néophyte, de peur que venant à s’en faire accroire, il ne bombât dans les filets du Démon, et ne fût damné comme lui. Le Démon même y a été pris le premier, et l'envie qu’il a d’avoir des imitateurs de sa désobéissance et des compagnons de sa peine, fait qu’il emploie le même moyen pour nous perdre. Mais que font ceux qui sont sages? Ils prennent bien garde de ne pas donner dans le piège; ils fuient l’honneur, à l’exemple d’un saint Ambroise, d’un saint Augustin, d’un saint Chrysostome, d’un saint Grégoire, et de tant d’autres Pères anciens, pour qui les premières dignités étaient des croix, dont ils se chargeaient, no par esprit d’ambition, mais par pure obéissance. Au contraire, les insensés, dont le nombre est infini, cherchent le piège, au lieu de s’en éloigner, et c'est à qui y sera pris le premier. O aveuglement déplorable! Que peut-on imaginer de plus dangereux que la Prélature, surtout pour des gens, qui n’ayant pas assez de sagesse pour se gouverner eux-mêmes, veulent gouverner des peuples entiers? D’où il arrive ce que disait le Sauveur, que des aveugles conduisant d’autres aveugles, ils tombent les uns et les autres dans le précipice.

C’est encore un grand sujet de tentation pour l’homme que l'argent, qui sert de matière à l'avarice. Je dis, pour l’homme : parce que les bêtes, quand elles ont de quoi manger et de quoi boire, méprisent le reste et ne se soucient point d’avoir de magnifiques palais, ni de grandes terres, ni des meubles forts précieux. L’argent donc est un de ces pièges que le Démon tend aux hommes et saint Paul nous en assure par ces paroles : Ceux qui veulent devenir riches, sont sujets à être tentés, et à tomber dans les filets du Démon. L’amour des richesses va souvent si loin, que l’on fait son Dieu de l'argent : et c’est pour cela que l’Apôtre, en plus d'un endroit, nomme l’avarice une idolâtrie. Le mal est qu’au lieu d’éviter le péril, ion l’aime, on le cherche, on estime heureux ceux qui y sont le plus engagés. Plût à Dieu que ceux dont toute la passion est le gain, se missent bien dans l'esprit cette Sentence de l’Apôtre : On est bien riche, quand on a de la piété, et qu’on a avec cela ce qui suffit, c’est-à-dire, quand on croit avoir ce qu’il faut, et qu’on est content, soit qu’on ait peu, ou qu’on ait beaucoup!

La grande richesse consiste donc premièrement à avoir de la piété, c’est-à-dire, à avoir pour Dieu un amour filial. Car ceux qui savent ce que c’est qu’être enfant de Dieu, et qui l’aiment comme leur Père, s’attachent à lui, gardent ses préceptes, se confient en lui, et se reposent de tout sur sa Providence; en sorte que pauvres ou riches, ils sont toujours très contents, parce qu’ils savent qu’ils ont un Père qui les aime tendrement, qui voit leurs besoins, qui connaît ce qui leur suffit, et de quoi ils manquent, et qui leur fournit dans le temps, ce qu’il sait leur être le plus nécessaire. O bien infini! O Trésor inestimable, mais connu de peu de personnes ! Car qui doit passer pour riche, selon l’opinion des Philosophes même Païens, hors celui qui ne désire rien? Hé qui ne désire rien, si ce n’est celui qui croit fermement qu’il a un père très bon et très libéral, un Père qui a des trésors inépuisables, et qui donne à ses enfants dans cet exil, ce qui suffit à leur subsistance, en attendant qu’il les mette ne pleine possession de son Royaume éternel?

Le troisième piège du Démon, ce sont les voluptés de la chair, dont il imprime vivement l’idée dans l’imagination des homes,  et même de ceux qui loin du commerce du monde, vivent à l’écart dans des solitudes, où l’on ne sait ce que c’est que divertissement et que délices. Il a l’adresse de les leur représenter beaucoup plus douces et moins honteuses qu’elles ne sont; et souvent la simple représentation fait en eux un plus dangereux effet que ne pourrait faire l’objet même, s’il était présent. Car quelques belles et quelque agréables que soient les choses, on y sent toujours je ne sais quoi de dégoûtant : mais les images avec les couleurs que le Démon sait leur donner, n’ont rien qui choque, rien qui ne plaise et qui ne charme. Il ne faut donc pas s’étonner si elles excitent dans l’appétit sensitif de très violents mouvements.

Le Tentateur s’est toujours servi de ce moyen pour engager dans le péché les personnes les plus saintes, que ni l’ambition, ni l'avarice n’avaient pu corrompre. Témoin saint Paul, qui après avoir été ravi au troisième Ciel, sentant la révolte de la chair contre l’esprit, disait avec un profond sentiment d’humilité, qu’afin que ses grandes révélations ne l’enflassent point, Dieu avait permis au Démon de le tourmenter, d’une manière honteuse, avec l’aiguillon de sa chair, et que par trois fois il avait prié en vain le Seigneur de l'en délivrer.  Témoin saint Antoine, ce parfait modèle des saints Solitaires, duquel nous lisons qu’après qu’il eût triomphé dans ses premières années des Puissances infernales, tant par la prière, que par la confiance qu’il avait en la Passion de Notre-Seigneur, le malin Esprit résolut de l’attaquer par l’endroit le plus délicat pour la jeunesse : il se mit à lui remplir l’imagination d’idées déshonnêtes; mais Antoine s’en défendait par l'exercice continuel de l’oraison. Il excitait dans sa chair des mouvements sales : mais le saint jeune homme les réprimait à force de pénitence, et par une ardente foi. Il s’apparaissait à lui sous la figure d’une courtisane; mais le généreux serviteur de Dieu, se représentait le feu de l’Enfer, et le ver qui ronge le cœur des Damnés; et par-là il éteignait les flammes impures de la concupiscence, que l’Esprit immonde allumait en lui.

Saint Jérôme assure que saint Hilarion, au commencement de sa retraite, eut à soutenir de pareils combats; et que fâché contre lui-même, il se donnait des coups de poing contre la poitrine, en se traitant d’âne, et en se disant : Je t’empêcherai bien de regimber; je tournerai, non pas d’orge, mais de paille; je te ferai mourir de faim et de soif; je te chargerai jusqu’à t’accabler, et je t’apprendrai à souffrir le chaud et le froid : enfin je te réduirai à chercher plutôt de quoi manger qu’à te divertir.

Saint Jérôme même ne fut pas exempt de cette persécution : car voici ce qu’il en dit; O combien de fois m’est-il arrivé dans ce vaste et affreux désert, de m’imaginer être au milieu des délices et des divertissements de Rome! Alors je me tenais seul et dans le silence, parce que j’avais le cœur rempli d’amertume; j’étais revêtu d’un sac, et ma peau toute desséchée était aussi noire que celle d’un Éthiopien. Je ne faisais que pleurer et que gémir; et quand le sommeil m’accablait, je me couchais à plate terre, ayant le corps tout brisé. Je ne parle point de ma nourriture : c’est tout dire, que quelque infirme que je fusse, je ne buvais que de l'eau, et que de manger quelque chose de cuit c’eût été pour moi une trop grande délicatesse. Moi donc, qui par la crainte des feux éternels, m’étais retiré dans cette triste solitude, où je n’avais point d’autre compagnie que celle des bêtes sauvages et des scorpions; moi, dis-je, qui par le jeûne étais devenu si pâle, que je ressemblais à un mort, je ne laissais pas de ressentir dans un corps froid et tout languissant les ardeurs de l’amour impur, de même que si j’eusse été au bal et parmi des femmes. Ainsi destitué de toute consolation, je me prosternais aux pieds du Sauveur, je les arrosais de mes larmes, et je les essuyais avec mes cheveux, tâchant toujours de dompter ma chair par des jeûnes de plusieurs semaines.

Ce que saint Jérôme dit de lui, on le peut dire pareillement de saint Benoît, qui pour se défaire des sales pensées dont il était tourmenté, eut le courage de se rouler parmi des épines, jusqu’à ce qu’il eût le corps tout en sang. On le peut dire de saint Bernard, qui pressé par une semblable tentation, se plongea dans un lac glacé. Enfin, pour ne point parler de beaucoup d’autres, on le peut dire de saint François, qui triompha de l’Esprit immonde en se jetant tout nu dans la neige, après une longue et sanglante discipline. Ces grands exemples n’ont pas empêché qu’une infinité de gens ne se soient perdus, pour avoir honteusement succombé à la tentation. Qui est-ce donc qui ne gémira dans cet exil, et qui n’en déplorera les misères, en considérant que les Démons usent de tant d’artifices pour nous porter au péché, que les plus grands Saints ne trouvent point d’asile assuré dans les solitudes les plus reculées et les plus profondes ?

Mais ils ont encore bien d’autres moyens pour nous troubler l'imagination et l’esprit; car comme ils observent les différentes dispositions des hommes, et qu’ils les connaissent à fond, ils prennent plaisir à en inquiéter quelques-uns par de vains scrupules, pendant qu’ils en trompent d’autres par des maximes d’une morale corrompue, qui va toujours au relâchement et à l’illusion; de sorte que plusieurs d’entre eux se trouvent plutôt en Enfer, qu’ils n’ont commencé à connaître et à pleurer leurs égarements. Les uns et les autres sont malheureux, parce qu’ils le veulent être. Car les scrupuleux dans leurs peines ne devraient pas s’en rapporter à leur propre jugement, mais au jugement d’autrui, surtout à celui de leurs Supérieurs, dont le Fils de Dieu a dit, que quiconque les écoute, l’écoute lui-même.  En effet ils doivent savoir qu’il y a peu de bons Juges dans leurs propres maladies. A l’égard des autres, qui ne font scrupule de rien, c'est une grande témérité, dans une matière aussi importante qu’est celle où il s’agit de la vie ou de la mort éternelle, que de se former sa conscience et de régler sa conduite, ou selon sa fantaisie ou suivant les fausses lumières de gens ignorants ou suspects, qu’on va consulter, au lieu de prendre conseil de personnes éclairées, qui connaissent la vérité, et qui n’appréhendent point de la dire.

Parlons maintenant des sens extérieurs, et voyons en combien de sortes de Démons nous y tend des pièges. Le piège le plus dangereux est la vue et la familiarité des personnes de sexe différent. J’ai considéré toutes choses, dit le Sage, et j’ai trouvé que la femme est un plus grand mal que la mort; qu’elle est le lacet des chasseurs, que son cœur est comme un filet, et ses mains, comme des chaînes. Quiconque veut se rendre agréable à Dieu, la fuira. Mais le pécheur se laissera prendre à ses charmes. Ce que le Sage dit ici des femmes à l’égard des hommes, se doit dire aussi des hommes, à l’égard des femmes. Car la vue du chaste Joseph fut aussi funeste à la femme de Putiphar, que la vue de Susanne le fut depuis aux deux impudiques vieillards, qui essayèrent de la corrompre.

Ce qu’il y a de plus pitoyable, et ce qu’on ne peut assez déplorer, c’est qu’au lieu d’éviter le piège, on l’aime, on le cherche, et l’on achète même bien cher son malheur. Le Sauveur crie à haute voix : Celui qui regarde une femme avec des yeux de concupiscence, en a déjà abusé dans son cœur. Si votre œil droit, ajoute-t-il, vous est une occasion de chute, arrachez-le, et le jetez loin de vous. Car il vous est plus avantageux qu’une partie de votre corps périsse, que si votre corps tout entier était jeté dans l’Enfer. Et cependant combien y a-t-il de Chrétiens, ou qui ne croient point ce que Jésus-Christ leur dit, ou qui en font si peu de cas, qu’ils ne voient point de beauté, dont ils ne soient aussitôt épris. Mais n’est-ce pas la chose du monde la plus indigne, que d’en voir plusieurs porter l'impudicité jusques dans les lieux les plus saints, et y commettre, selon le langage de l’Écriture, par des regards lascifs, des adultères dans leur cœur, sans respecter même souvent les Prédicateurs en chaire, ni les Prêtres à l’Autel? Saint Jean Chrysostôme ayant perçu un jour à Antioche quelques laïques qui causaient pendant que l’on célébrait les saints Mystères, et ayant su qu’ils avaient souri entre eux, il en fut si indigné, qu’il dit hautement qu’une telle profanation méritait que le feu Ciel tombât sur l’Église, et qu’il consumât tous ceux qui étaient dedans. Si c’est donc un crime digne de la foudre, que de parler et de sourire pendant la Messe, quelle punition méritent ceux qui déshonorent le Lieu saint et les saints Mystères, par des regards impudiques et des adultères de cœur?

A cette sorte de piège, joignons-en un autre, où le Démon a accoutumé de faire tomber les esprits faibles et crédules, par le moyen des méchantes langues. O que le Sage a raison de se réjouir  de ce que Dieu l’en a délivré! Et que ceux qui n’ont pas été surpris par les faux raisonnements des hérétiques, peuvent bien en remercier le Seigneur! Saint Épiphane dit que l’hérésiarque Arius parlait d’une manière si naturelle et si engageante, qu’en peu de temps il pervertit plusieurs Prêtres et plusieurs Évêques, sept cent vingt Vierges consacrées à Dieu, et un grand nombre d’autres personnes de tout sexe et de toute condition. Saint Augustin dit que Fuaste Manichéen trompait bien du monde par ses discours étudiés et captieux, et que son langage poli était un piège, dont le Démon se servait pour abuser et pour perdre beaucoup d’Âmes. Nous pouvons en dire autant des Hérésiarques de notre siècle, et surtout de Martin Luther, qui en sa Langue Allemande passait pour un Orateur éloquent. Que dirai-je de la médisance, de la flatterie, du mensonge, et des autres vices de la langue, à laquelle il échappe tant de paroles inconsidérées et criminelles, que saint Jacques l’appelle pour cela un monde d’iniquité, un mal inquiet et turbulent, une bête venimeuse, un monstre indomptable.

Pour ce qui est de l’odorat, il se prend par toutes sortes d’odeurs agréables, que les gens sensuels aiment si passionnément, que plusieurs d’entre eux dépensent beaucoup en eaux et en poudre de senteur, et qu’ils en parfument jusqu’à leurs habits, à leur linge, à leurs gants, et aux meubles de leurs chambres. Mais que cette dépense est inutile; car l’odeur qu’est-ce autre chose qu’une fumée, qu’une vapeur qui se dissipe en un moment, et qui n’a rien de solide?

Le sens du goût a aussi son piège, et il le trouve dans les viandes exquises, et dans les vins délicieux. C’est de là que viennent les excès de bouche, qui nuisent presque également au corps et à l’âme, et qui sont cause souvent de la ruine entière des familles. Prenez garde à vous, dit le Fils de Dieu, de peur que vos cœurs ne s’appesantissent par l’intempérance et par la crapule.  Il ne dit pas, de peur que votre estomac n’en soit chargé; mais de peur que vos cœurs n’en soient appesantis; parce que, quoique la débauche ne nuise pas peu à la santé, c’est un mal auquel on peut aisément remédier par l’abstinence et par le jeune : mais la pesanteur que l'intempérance cause dans l’âme, la rend si terrestre, qu’elle ne saurait ni élever sa pensée au Ciel, ni penser en aucune sorte à ce qui est de son salut.

Salomon explique ceci fort naïvement par une agréable comparaison. Il dit qu’un homme qui aime le vin, ressemble à un Pilote, qui, après avoir bien bu, dort profondément à la poupe du vaisseau, et en rêvant s’imagine encore demander à boire, pendant qu’un coup de mer emporte le gouvernail. Vous serez, dit-il, comme un homme qui dort au milieu de la mer, et comme un pilote assoupi qui n’a plus de gouvernail. Vous direz : On m’a frappé, et je ne l’ai point senti; on m’a tiré violemment, et je ne m’en suis point aperçu. Quand m’éveillerai-je, et trouverai-je encore du vin? Voilà un tableau fidèle des maux auxquels les ivrognes sont sujets. Leur entendement ne raisonne plus, ils ont l’esprit enveloppé de ténèbres; ils sont dans un tel assoupissement, que bien qu’ils reçoivent une plaie mortelle dans le cœur, qu’ils perdent la grâce par le péché, ils ne s’en aperçoivent point, et que prêts à faire naufrage, prêts à tomber dans l’abîme, ils rient, ils plaisantent, ils se divertissent, comme si c’était un jeu. Ils disent toujours : Quand m’éveillerai-je, et trouverai-je encore du vin? Non, malheureux, vous ne trouverez point de vin; mais avec le mauvais Riche, vous demanderez une goutte d’eau, et jamais vous ne l’obtiendrez. C’est ainsi que finissent d’ordinaire les gens de débauche, qui font leur Dieu de leur ventre, selon que parle saint Paul. Et néanmoins la plupart des homes, par un étrange aveuglement, ne craignent point ce malheur : bien loin de le fuir, ils y courent, et n’attendent pas que le Démon les y pousse.

Le dernier et le plus dangereux de tous les pièges, c’est celui du sentiment du toucher, dont le grand attrait est la volupté. L’Ecclésiaste, comme nous l’avons déjà remarqué, dit que la femme est le lacet du chasseur, c’est-à-dire du Démon; et qu’il suffit de la regarder pour devenir son esclave. Le funeste exemple d’Holoferne en est une preuve. Car quand il eut vu Judith, l’Historien sacré assure qu’il fut pris incontinent par les yeux. S’il y a adonc tant de danger à regarder curieusement une femme, combien plus y en a-t-il à s’approcher d’elle, et à la toucher? Le Saint-Esprit par la bouche de l’Apôtre, nous ordonne à tous de fuir la fornication, et à plus forte raison, l’adultère, l’inceste et le sacrilège. Mais il est de ce piège, comme des autres qui flattent les sens. Plus l’Écriture nous avertit de nous en donner de garde, plus nous le cherchons, et nous nous y engageons volontairement.

Le monde est rempli de pièges; mais quand il n’y en aurait point d’autre que celui-ci, ce serait assez pour nous obliger à gémir, et à verser des torrents de larmes. Car il n’y a point de mal plus commun, ni plus honteux, ni plus pernicieux. Moïse dit qu’autrefois il infecta et corrompit tout le monde, et que Dieu en fut irrité à un tel point, qu’il se repentit d’avoir créé l’homme; qu’ensuite il envoya le déluge, qui fit périr tout le genre humain, à la réserve de peu de personnes, et qui servit en quelque façon à laver la terre, et à emporter toutes ses souillures. Un si terrible châtiment exercé sur ces infâmes pécheurs, ne devrait-il pas remplir d'épouvante ceux qui les imitent? Ne devrait-il pas les obliger de garder la chasteté, du moins dans un légitime mariage? Et si les Païens, qui n’ont nulle connaissance de Jésus-Christ, ni de sa doctrine, se laissent aller à ces vices abominables, faut-il que ceux qui se glorifient d’être Chrétiens, d’être les Disciples de ce Jésus toujours Vierge, et Fils d’une Vierge, l’ami des Vierges, et le modèle parfait de la pureté, faut-il qu’ils se portent à de semblables excès? Si l’Apôtre ne veut pas qu’on en sache seulement le nom, d’où vient qu'il se trouve tant de corruption et parmi les gens du monde, et parmi les personnes même consacrées à Dieu par le vœu de continence? Pour les punir, comme ils le méritent, Dieu leur enverra non pas un déluge d’eau, mais un déluge de feu, qui purgera de tant d’ordures toute la terre; et ceux qui auront négligé de se purifier par les larmes de la pénitence, seront condamnés au feu; et à quel feu? Au feu éternel, à ce feu qui brûle toujours, et que toutes les eaux du monde ne sauraient éteindre.

     

 

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