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LIVRE TROISIÈME Chapitre IV Quatrième fruit des larmes : La charité du prochain. Ce quatrième fruit des larmes vient de la considération des maux que l’Eglise souffre aujourd’hui, et que l’on ne saurait voir, qu’on n’en soit touché, et qu’on n’en gémisse. Ceux donc qui y font une sérieuse réflexion, sentent le feu du divin amour, qui s’allume dans leur cœur, et qui les excite à secourir le prochain, par les œuvres de miséricorde, si nécessaires aux pécheurs pour leur conversion, et si utiles aux personnes charitables, pour l’accroissement de leur mérite et de leur gloire. Mais quelles sont en particulier ses œuvres, où s’exercent ceux qui ont un vrai zèle pour le salut de leurs frères? C’est la prédication de la parole de Dieu, ce sont les ouvrages de piété, c'est l’oraison, c'est le bon exemple. La prédication est un moyen nécessaire pour désabuser les Infidèles de leurs erreurs, et pour retirer les fidèles de leurs vices mais la charité et le zèle ne s’allument dans les cœurs, qu’après qu’on a bien considéré et pleuré longtemps le malheur de ceux qui périssent, ou qui sont près de périr. De là vient que tant de Prédicateurs, qui n’ont point l'esprit de charité, prêchent toujours bien plus volontiers dans les grandes villes, où ils peuvent acquérir plus d’estime, et satisfaire plus aisément leur délicatesse et leur avarice, que dans des endroits où il y a beaucoup à souffrir et rien à gagner que des âmes à Notre-Seigneur. Les anciens Prophètes brûlaient de ce zèle, et la liberté généreuse avec laquelle ils annonçaient la vérité devant un peuple indocile, ou devant des Rois impies, leur a mérité presque à tous une glorieuse mort. Isaïe fut scié en deux, Jérémie accablé de pierres, Ezéchiel cruellement massacré, Zacharie tué entre le temple et l’autel. Enfin le premier Martyr saint Etienne, dans une célèbre assemblée de Prêtres et de Docteurs de la Loi, disait : Qui est-ce d’entre les Prophètes qui n’ait point été persécuté par vos pères? Les Apôtres qui avaient le même zèle, eurent aussi le même sort, et tous, hors saint Jean, moururent Martyrs, après avoir soutenu de rudes persécutions, et annoncé l’Evangile aux peuples les plus barbares, avec des fruits prodigieux. Saint Jean même, quoiqu’il n’ait pas répandu son sang, comme les autres, a eu à souffrir tant de contradictions et de peines, que toute sa vie a été un véritable martyre. Peut-être vous me direz, qu’il y a encore aujourd'hui des Prédicateurs animés de l’esprit Apostolique. Je l’avoue, mais s’il y en a, c'est parce qu'ils voient avec douleur les nécessités de l’Eglise, et qu'ils déplorent la perte de tant d’âmes, qui périssent manque de secours. Et c'est là l’effet que l’esprit de Dieu produit dans le cœur des Saints qui pleurent et qui gémissent. Plût à Dieu que maintenant que l’Eglise jouit de la paix, et qu’on ne craint ni persécution, ni bannissement, ni prison, ni mort, les Prédicateurs considérassent combien il y a de gens plongés dans le vice, qui sortiraient de ce malheureux état, et se sauveraient, si ayant pour eux une véritable compassion, ils cherchaient le bien de leur ame, et non pas l’applaudissement du monde? La seconde chose que font ceux qui ont de la charité pour le prochain, et qui regardent avec un extrême déplaisir cette fautilde infinie, non seulement d’Idolâtres, mais de Chrétiens qui se perdent faute d’instruction, c'est de composer des Livres, propres ou à réfuter les erreurs, ou à corriger les vices. Le monde n’a jamais manqué de ce secours, parce que dans tous les temps, il s’est trouvé des Ecrivains également pieux et savans, qui pleins de tendresse pour leurs frères, se sont employés à leur faire connaître la vérité, et à les porter à la vertu. Saint Hilaire, ce célèbre Évêque de Poitiers, qui étant déjà avancé en âge, comme il dit lui-même, s’était converti à la foi, bien que jusqu’alors il n’eut lu que les Livres des Philosophes; touché néanmoins de voir presque tout le monde séduit par hérésiarque Arius, fut le premier des Pères Latins, qui prit la plume pour le combattre. Et comme Dieu aide toujours ceux qui défendent sa cause, il devint en peu de temps un si grand Docteur, qu’il fit taire les Hérétiques et sauva la Religion dans la France on peut dire la même chose de saint Ambroise, lequel avant son Baptême, ayant été longtemps occupé à gouverner des Provinces, ne fut pas plus tôt fait Évêque de Milan, que pour abattre l’hérésie qui se fortifiait de plus en plus, il se mit à étudier l’Ecriture; en quoi il fit un si notable progrès, qu'il purgea de l’Arianisme l’Italie qui en était infectée. Que dirons-nous de saint Augustin, qu’on peut justement nommer de Dompteur des hérétiques? Ce grand homme, comme chacun sait, avait employé toute sa jeunesse à l’étude des sciences profanes, et il n’abjura que fort tard les rêveries de Manès, pour embrasser la foi Catholique. Mais après avoir reçu le Baptême, il se sentit embrasé d’une telle ardeur pour la défense de la vérité, qu’il n’est pas croyable combien il écrivit de livres contre les Ariens, les Manichéens, les Donastistes et les Pélagiens, dont il extermina les erreurs presque de toute l’Afrique. Je ne dis rien des Docteurs de l’Eglise d’Occident, qui pleins d'un zèle pareil, ont rendu autant de services aux fidèles par leurs écrits, qu’ils se sont acquis de gloire à eux-mêmes, devant Dieu et devant les hommes. O qu’il serait à souhaiter qu’on ne trouvât point parmi les Fidèles, de ces écrivains lascifs, qui n’emploient ce qu’ils ont d’esprit qu’à corrompre la jeunesse, et à détruire par leurs expressions scandaleuses, ce que les meilleurs Auteurs tâchent d’établir par des Ouvrages édifians! Mais malheur à eux! Car celui qu a racheté les âmes au prix de son sang, les vengera de ces corrupteurs infâmes, auxquels il fera sentir quelle horrible peine méritent des gens qui travaillent à ruiner le fruit de sa Passion et de sa mort. Quant aux prières accompagnées de gémissemens et de soupirs, que l’on offre à Dieu pour le salut de ces âmes que les hérétiques et les libertins, comme ministres de Satan, veulent engager dans la perdition, c’est un moyen général que Dieu a donné à tous les Chrétiens, tant hommes que femmes, savans et ignorans, soit qu’ils fréquentent les Eglises, et les assemblées des Fidèles, soit qu’ils vivent retirés dans des solitudes ou dans des cloîtres. Car saint Augustin, parlant des Anachorètes, blâme ceux qui ne voyant pas combien leurs prières sont utiles à toute l’Eglise, les condamnent comme des gens qui ne prennent pas assez d’intérêt aux nécessités publiques, et qui ne sont bons qu’à eux-mêmes. L’Empereur Justinien dit encore quelque chose de plus fort : car il assure que l’état, que la milice, que les terres, et généralement tous les biens que possèdent les gens du monde, doivent leur conservation aux prières des saints Solitaires. Nous lisons aussi dans la vie de la Bienheureuse Thérèse, qu’elle ne cessait de prier avec abondance de larmes pour tous ceux qui de parole ou par écrit, s’opposaient à l’impiété de Luther, qu’elle exhortait fortement ses filles d’en faire autant, qu’elle fondait même des Monastères, à dessein particulièrement de s’associer plusieurs saintes âmes, qui joignissent leurs prières et leurs larmes aux siennes, pour obtenir de la divine Bonté l’extinction des hérésies. Enfin rien n’est plus efficace pour toucher les cœurs, que l’exemple d’une sainte vie, et l’on gagne d'ordinaire beaucoup plus par l’exercice public des bonnes œuvres, que par les sermons et par les disputes. Voilà pourquoi le Sauveur disait : Faites en sorte que votre lumière luise aux yeux des hommes, afin que voyant vos bonnes œuvres, s’ils en glorifient votre Père, qui est dans le Ciel. C'est par la même raison que saint Pierre recommandait aux premiers Chrétiens qu’ils se comportassent parmi les Gentils d’une manière si irréprochable, que ces infidèles accoutumés à les décrier comme des impies, étant témoins du bien qu’ils feraient, se détrompassent et bénissent Dieu. Le même Apôtre donne cet avis aux femmes : Que les femmes soient obéissantes à leurs maris, afin que s’il y en a qui ne croient pas à la parole de Dieu, ils soient gagnés sans la parole, par le bon exemple de leurs femmes, en considérant seulement leur air modeste et leur sainte vie. Personne n’a mieux accompli ce précepte que sainte Monique, qui, au rapport de saint Augustin son fils, étant mariée à un infidèle, eut toujours pour lui tant de complaisance et de respect, qu’elle en fit par-là un parfait Chrétien, et n’eut plus depuis à souffrir de son naturel rude et fâcheux, ce qu’elle en avait longtemps souffert avant son Baptême. On peut donner la même louange à sainte Clotilde, qui étant Chrétienne, épousa Clovis, un Prince idolâtre, dans l’espérance de le convertir; ce qu’elle exécuta si heureusement, qu’après avoir adouci cet esprit fier, non pas tant par ses paroles que par sa sage conduite, elle lui persuada enfin de recevoir le Baptême de la main du grand saint Remi.
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