LIVRE TROISIÈME

Chapitre XI

Onzième fruit des larmes : La crainte d’offenser Dieu.

Les deux dernières sources des larmes, qui viennent de l’incertitude où nous sommes et de la grâce, produisent un très-bon effet, qui est la crainte de Dieu si importante pour le salut. Nous ne parlons point de la crainte basse et servile, mais de celle de l’épouse chaste, qui aime la présence de son époux, et qui en appréhende l’absence; au lieu que la femme infidèle désire l'absence de son mari, et en redoute la présence. C'est de cette crainte également noble et utile que parle l’Apôtre quand il nous exhorte de travailler à notre salut avec crainte et en tremblant. Le Prophète Roi nous en parle aussi en ces termes : Servez le Seigneur avec crainte, et réjouissez-vous en lui avec tremblement. Craignez le Seigneur, vous tous qui êtes du nombre de ses Saints.

Pourquoi pensez-vous que Dieu ait voulu que nous ne puissions savoir si nous sommes en bon état, et si nous y persévérerons? C'est sans doute pour nous tenir dans la crainte, pour nous rendre vigilans, pour réprimer notre orgueil, et nous conserver dans l’humilité. Dieu nous a caché ce secret, il nous en a fait un mystère impénétrable, afin, dit saint Augustin, que personne ne s’enorgueillisse, mais que tous, et ceux même qui courent bien, ne laissent pas de trembler, puisqu’ils ne savent où se terminera leur course.

Cependant quelque incertitude qu’on ait sur cela, les gens de bien ne doivent pas se laisser aller à l’abattement et au désespoir. Car ceux qui servent Dieu sincèrement et avec crainte, ont plusieurs marques pour connaître que Dieu les aime, et qu’il veut les faire persévérer dans sa grâce. C’était la pensée de saint Bernard, qui disait : Qui se peut vanter qu'il est du nombre des Elus, qu'il est de ceux que Dieu a prédestinés à la gloire? Nous n’avons rien de certain là-dessus : mais nous espérons, et c'est cequi nous console. Le Saint-Esprit même dans les Ecritures nous enseigne que la bonne conscience, que l’esprit de componction, que l’exercice de l’amour de Dieu, que la patience dans l’adversité nous sont des sujets d’une extrême joie et d’une ferme espérance, qui doit bien modérer nos craintes.

Quant à la bonne conscience, saint Paul dit que son témoignage est ce qui fait notre gloire : et saint Jean assure que si nous n’avons rien à nous reprocher, nous devons avoir une grande confiance en Dieu.

Pour ce qui est de l’esprit de componction et de pénitence, le Sage dit qu’une ame qui sent l’amertume dont elle est remplie, aura une joie toute pure et toute intérieure. En effet il n’est pas croyable combien il y a de douceur dans l’amertume que cause à l’ame le regret de ses péchés.

A l’égard du divin amour nous savons que le premier fruit du Saint-Esprit, c'est la paix et la joie du cœur. Les fruits de l’Esprit, dit l’Apôtre, sont l’amour, la paix, la joie, etc.

Enfin rien ne donne plus de consolation, ni n’assure plus le salut, que la patience dans les maux qu’on a à souffrir en cette vie. Nul ne l’a jamais mieux éprouvé que cet homme si mort au monde, qui se sentait plein de consolation, et comblé de joie parmi toutes ses souffrances, et qui écrivait aux premiers Chrétiens en ces termes : L’affection est le sujet de la patience; la patience, de l’épreuve; l'épreuve, de l’espérance; et l’espérance ne trompe point. Le Prophète Roi avait dit longtemps auparavant, en parlant à Dieu : La multitude de mes peines intérieures a été comme la mesure des consolations dont vous avez rempli mon ame.

Tout ceci fera connaître au Lecteur, que nous recommandons la crainte sans diminuer la confiance, et que nous louons les pleurs sans ôter la joie. Car le même Esprit qui produit la crainte, et fait gémir la Colombe, produit aussi l’espérance et la joie du cœur.

     

 

pour toute suggestion ou demande d'informations