LES TRENTE-DEUX RELIGIEUSES
GUILLOTINÉES A ORANGE
6-26 JUILLET 1794
La ville de Bollène
appartenait avant 1789 au diocèse de Saint-Paul-Trois-Châteaux. Il
s'y trouvait deux couvents de religieuses, l'un de Sainte-Ursule,
l'autre du Saint-Sacrement. Une religieuse sacramentine a laissé le
récit qu'on va lire. On y trouvera mentionnées quelques religieuses
d'autres maisons : une bénédictine de Caderousse, trois ursulines du
Pont-Saint-Esprit, deux bernardines d'Avignon, une ursuline de
Carpentras, une de Fernes, une de Sisteron.
RELATION DE
LA CONDUITE ET DES VERTUS.
L'esprit de
recueillement, de mortification, de pauvreté, d'obéissance,
d'oraison, en un mot toutes les vertus religieuses qui animaient nos
anciennes mères et sœurs, faisait l'édification du public, et la
bonne odeur de leurs vertus s'étendait au loin. Elles jouissaient
elles-mêmes de la paix et de l'union la plus parfaite, cimentée par
les liens de la charité de notre divin Sauveur.
Bientôt des édits
cruels furent publiés de toute part pour signifier aux religieuses
de sortir de leurs monastères. A cette époque, la communauté du
Saint-Sacrement comptait 23 religieuses choristes, 5 sœurs
converses et 2 sœurs tourières ; elles avaient à leur tête la
Révérende Mère du Cœur de Marie, de la Fare, personne d'une rare
vertu et douée de tous les talents propres à une supérieure
accomplie.
On peut concevoir
combien fut douloureux pour notre bonne mère supérieure le coup
fatal de la suppression de son monastère, et de la dispersion de ses
chères filles. Si chaque religieuse en pareille circonstance doit
mourir de douleur, la pauvre supérieure meurt autant de fois qu'elle
a de religieuses. Quelle ne fut donc pas son affliction quand elle
se vit elle-même forcée à obliger ses filles de sortir de leur
Jérusalem bien-aimée pour rentrer dans la Babylone ! Son cœur
palpitait de crainte en voyant que ces vierges dont elle avait pris
tant de soins allaient tomber dans la gueule des loups prêts à les
dévorer ; mais ranimée par sa foi, elle ne laissa pas abattre son
courage, et comme un autre Abraham, elle prit en main le glaive de
la force et se mit en devoir d'obéir. Elle pria, elle exhorta, elle
dit à ses saintes filles que Dieu veut qu'elles sortent de leur
monastère, qu'il est temps plus que jamais de se faire une retraite
intérieure qu'on ne puisse leur ravir, car pour le couvent qu'elles
habitent il ne faut plus penser d'y demeurer. Quelle triste annonce
pour des religieuses qui avaient un si grand attachement à leur
sainte vocation ! Aussi, malgré leur soumission aveugle aux ordres
de leur supérieure, elles ne purent s'empêcher cette fois d'opposer
des résistances à sa volonté ; elles voyaient bien qu'elle ne
commandait que malgré elle.
Elles crurent donc
qu'il leur était permis d'employer les prières et les larmes pour
obtenir de la bonté de Dieu la révocation de la sentence que des
hommes iniques avaient portée. Quel crève-cœur pour notre Révérende
mère, si fortement attachée à son Dieu, de se trouver dans
l'indispensable nécessité non seulement de sortir de ce saint asile,
mais encore d'en faire sortir ces épouses de Jésus-Christ malgré
elles 1 Le Seigneur vint à son aide, en lui envoyant dans ce moment
décisif une religieuse visitandine, grande servante de Dieu,
conduite par des voies extraordinaires. Cette vertueuse fille eut
grâce pour décider nos sœurs à ce sacrifice. « C'est la volonté de
Dieu que vous quittiez le voile, leur dit-elle, pourquoi
voudriez-vous le garder ? Vous me voyez hors de mon cloître, il faut
que liées au même époux vous subissiez le même sort. » Ces paroles
furent si efficaces qu'elles consentirent enfin à se séparer. Mais
il fut convenu qu'elles ne céderaient qu'à la force.
Depuis quelque temps on
avait enlevé à nos sœurs leurs propriétés. Tous les jours elles
s'attendaient à recevoir l'ordre fatal de quitter leur saint asile.
Ce fut le 9 octobre 1792 que quatre municipaux de Bollène se
présentèrent à la porte du couvent pour les obliger à en sortir. La
supérieure obtint un délai de trois jours. Pendant cet intervalle,
elles eurent la douleur de voir profaner les vases sacrés, leur
monastère fut envahi par une troupe de brigands, qui sous prétexte
de faire l'inventaire du mobilier de la maison, emportaient ce qui
était à leur convenance. On permit seulement aux religieuses
d'enlever ce qu'elles avaient dans leurs cellules, ce qui se
réduisait à bien peu de choses. Elles purent cependant, avec
l'assistance d'amis dévoués, sauver quelques ornements d'église, et
quelques meubles qu'on fit sortir de nuit par des portes dérobées;
les tables du réfectoire furent cachées par maître Linsolas,
menuisier, qui les démonta et en fit un plancher à son grenier à
foin avec l'intention de les rendre dans un temps plus heureux ; ce
qu'il a fait lorsque nos sœurs sont rentrées dans leur maison.
Prévoyant les blâmes
qu'on voulait faire tomber sur les communautés religieuses, la
Révérende mère supérieure déclara aux municipaux, avant de sortir de
son monastère, par un acte authentique signé de toutes les
religieuses, que c'est la force seule et non tout autre motif qui
les obligeait à rentrer dans le monde.
Le soir du 13 octobre
1792, nos sœurs se virent forcées de quitter leur chère solitude.
Que de larmes ! Que de sanglots, lorsqu'il fallut se séparer et
sortir de cette maison de paix sur laquelle le Seigneur s'était plu
à verser par torrents ses grâces et ses bénédictions I Elles ne
purent aller toutes ensemble ; les unes furent reçues par des amis
de la communauté, d'autres allèrent chez leurs parents qui
s'empressèrent de venir les prendre dans des voitures à la porte du
monastère.
Hors de l'arche sainte,
Mme de la Fare ne les abandonna pas ; elle les retira auprès d'elle
dans une maison de Bollène louée à cet effet, et leur procura autant
qu'il fut possible les secours de la religion par le ministère de M.
l'abbé Tavernier de Courtines. Ce vertueux ecclésiastique était
depuis quelque temps aumônier de la communauté. Son zèle, sa foi, sa
piété excitèrent contre lui la haine des révolutionnaires qui le
cherchaient pour l'immoler à leur fureur. Nommé par Pie VI
administrateur du diocèse de Saint-Paul-Trois-Châteaux, M. Tavernier
s’acquitta de cette tâche avec beaucoup de zèle. Nos sœurs furent
l'objet de sa constante sollicitude. Il les encourageait, les
soutenait, leur procurait les sacrements et même la consolation
d'avoir la sainte réserve enfermée dans une armoire, où tour à tour
elles venaient faire leur adoration.
Nos sœurs étaient
obligées de travailler pour se procurer une honnête subsistance ;
elles faisaient des ouvrages de couture, de broderie, de tricotage.
La digne supérieure travaillait comme les autres et pourvoyait aux.
besoins de chacune. Cette position, quoique pénible, était:
néanmoins bien consolante, puisqu'elle lui procurait lai joie de
rester avec ses chères filles. Mais le moment des; consolations
n'était plus, il ne devait plus y avoir pour elle que des
tribulations. Elle fut enlevée à l'amour de: ses enfants par la
malice d'un municipal qui la contraignit de quitter Bollène. Elle se
réfugia au Pont-Saint-Esprit chez Madame sa mère, emmenant avec elle
Madeleine Cluse, de Bouvante, sœur converse. Là, elle apprit avec
une douleur qu'on ne pourrait décrire l'arrestation de ses
compagnes, leur réclusion à Orange. Son cœur étain déchiré chaque
fois qu'on lui apprenait la mort de quelqu'une d'entre elles.
Souvent on lui a entendu dire qu'elle avait ressenti le coup de la
mort autant de fois que le feu de la guillotine avait frappé une de
ses enfants. Enfermée elle-même dans les prisons du
Pont-Saint-Esprit, elle en supporta les incommodités avec une
patience admirable encourageant par ses paroles et par ses exemples
les religieuses détenues avec elle. La sœur Madeleine Cluse qui
l'avait suivie, partagea ses peines et sa prison. Plus tard, quand
la communauté se rétablit, elle se réunit nos sœurs. Elle nous
disait souvent qu'elle regrettait beaucoup de n'être pas restée à
Bollène avec les religieuses qui eurent le bonheur de donner leur
vie pour la défense de la foi, au nombre desquelles était sa tant«
Marie-Anne Beguin et sa sœur Marie Cluse.
Séparées de leur mère,
nos sœurs restèrent fermes; inébranlables au milieu des épreuves.
Leur position cependant était des plus tristes. Malgré un travail
opiniâtre, elles avaient beaucoup de peine pour subvenir à leur
frugale nourriture et à leur modeste entretien. Impossible de dire
ce qu'elles souffrirent de la faim et du froid. Elles allaient le
long des chemins, sur les montagnes, ramasser du bois et de la
paille pour faire leur soupe et leur lessive; la privation où elles
étaient des choses les plus nécessaires à la vie fut cause que
plusieurs d'entre elles se décidèrent à rentrer dans leurs familles.
Celles de nos sœurs
qui continuèrent à vivre en communauté attiraient sur elles les
regards du divin Epoux par leur ferveur et leur générosité à
supporter toutes les privations auxquelles leur triste et pénible
position les soumettait. Le Seigneur qui les destinait presque
toutes à la gloire du martyre, les préparait à cette grâce par les
sacrifices de chaque jour ; elles menèrent cette vie pénible pendant
dix-huit mois ne sachant quelle en serait la fin.
Dans la même ville se
trouvaient aussi des religieuses de différents ordres, vivant les
unes chez leurs parents, les autres réunies dans la même maison sous
la conduite de Mme de Roquard, toutes servant le Seigneur
conformément à leurs saintes règles et faisant l'édification des
fidèles. Le 2 mai 1794, elles furent conduites dans les prisons
d'Orange au nombre de quarante-deux [de 29 seulement ce jour-là, les
autres suivirent à de courts intervalles]. On les mit sur des
charrettes, et on les conduisit ainsi que des agneaux qu'on mène à
la boucherie.
Le lendemain de leur
entrée dans la prison, ne doutant plus qu'elles ne fussent destinées
au martyre, elles se réunissent dans la même chambre pour concerter
ensemble les exercices de leur préparation au sacrifice de leur vie
pour la cause de la religion.
Leur première pensée
fut de n'avoir qu'une seule règle et de suivre toutes le même plan
de vie, puisqu'elles avaient la même destinée ; elles poussèrent
l'esprit d'union jusqu'à mettre tout en commun, linge et assignats.
Les religieuses qu'on
amena dans la suite s'associèrent à cette admirable confraternité.
Chaque jour ces saintes
filles commençaient ensemble, dès cinq heures du matin, leurs pieux
exercices par une heure de méditation ; après quoi elles récitaient
l'office de la sainte Vierge et les prières de la messe ; à sept
heures elles prenaient un peu de nourriture ; à huit heures elles
disaient les litanies des saints. Quand cette prière attendrissante
était achevée, chacune faisait à haute voix la confession de ses
fautes et se disposait à la réception intentionnelle du saint
Viatique.
Lorsque approchait
l'heure où elles pouvaient être appelées au tribunal, elles disaient
les prières de l'Extrême-onction, renouvelaient leurs vœux de
baptême et de profession religieuse. Quelques-unes, dans le
mouvement de leur ferveur, s'écriaient : « Oui, je suis religieuse,
j'ai une grande consolation de l'être, je vous remercie, Seigneur,
de m'avoir accordé cette grâce. »
A neuf heures, avait
lieu ordinairement l'appel de celles qui devaient comparaître devant
les juges. Toutes ne furent pas appelées le même jour. Celles qui
voyaient différer leur sacrifice éprouvaient une grande peine, tant
était vif leur désir de donner leur vie pour Jésus-Christ. Elles ne
voyaient plus leurs compagnes parce qu'après leur condamnation elles
étaient conduites dans la cour du Cirque,
en attendant l'heure de l'exécution.
Tout le temps que
durait l'audience, les religieuses de la prison se tenaient à genoux
pour obtenir à celles qui étaient jugées les lumières du
Saint-Esprit et la force nécessaire au moment d'un tel combat, elles
imploraient le secours de la Sainte Vierge par la récitation de
mille Ave Maria, disaient des litanies sans nombre, faisaient des
prières sur les paroles de Jésus-Christ en croix ; enfin, il n'y
avait presque point de relâche jusqu'au soir cinq heures où l'on
reprenait l'office de la sainte Vierge.
Lorsqu'à six heures du
soir, le bruit sinistre du tambour et les cris de Vive la Nation
! Vive la République ! retentissaient autour de la prison,
annonçant le départ des victimes pour l'échafaud, les sœurs
prosternées récitaient les prières des agonisants et de la
recommandation de l'âme, et gardaient ensuite un profond silence,
restant toujours à genoux, jusqu'à ce qu'elles présumassent que
leurs compagnes avaient subi leur jugement. Elles se levaient alors,
se félicitant réciproquement (surtout celles qui étaient de la même
communauté), de ce que quelques-unes d'entre elles avaient été
admises aux noces de l'agneau sans tache ; elles chantaient avec
joie le Te Deum et le psaume Laudate Dominum omnes gentes
; et elles s'exhortaient mutuellement à mourir de même le lendemain.
Chaque victime de ce
troupeau d'élite se préparait à son sacrifice par la plus grande
pureté de conscience, s'accusant à la Supérieure de ses moindres
fautes, gardant un silence continuel ; la prison était pour elles un
cloître animé de la plus grande ferveur ; les exercices de la vie
religieuse s'y faisaient avec une ponctualité parfaite.
Joignant à des exemples
si touchants une sorte d'apostolat, ces saintes filles
contribuèrent, autant que les saints prêtres prisonniers comme
elles, à ramener au Seigneur les autres détenus et quelques
ecclésiastiques, coupables d'avoir prêté le serment, ne tardèrent
pas à se repentir, et à se jeter aux pieds des ministres fidèles qui
recevaient leur rétractation. Quand ils voyaient nos saintes
religieuses aller au martyre, ils se prosternaient devant elles,
disant dans toute la vivacité du repentir le plus sincère : « Nous
avons reconnu notre erreur et nous l'abjurons de nouveau à vos
pieds. Pardon, mille fois pardon, du scandale que nous avons donné
aux faibles ; nous voulons mourir comme vous, non seulement dans le
sein de l'Eglise catholique, apostolique et romaine, mais encore
pour la foi qu'elle professe. »
Le président du
tribunal après avoir interrogé la victime qui lui était livrée, sur
son nom, son âge, sa profession, lui demandait si elle avait prêté
ou si elle voulait prêter le serment de Liberté-Egalité. Les
religieuses comme les prêtres répondaient successivement : « Ce
serment est contraire à ma conscience, mes principes religieux se le
défendent. » Souvent le président insistait avec le grossier
tutoiement alors en usage : « Tu es encore à temps de le prêter, et
tu peux à ce prix être acquittée », et chacune de répondre : « Je ne
puis sauver ma vie aux dépens de ma foi. » A cette réponse, l'arrêt
de mort était aussitôt prononcé.
Toutes allèrent au
supplice avec une céleste allégresse, et comme à un festin de noces,
suivant l'expression d'un témoin oculaire. Le peuple grossier ne
pouvait comprendre cette joie ; les gendarmes ne cessaient de
répéter dans leur brutal langage : « Ces bougresses-là meurent
toutes en riant. »
Il serait difficile de
dire combien leur ministère fut utile aux prisonniers qui étaient
jugés, condamnés et jetés avec elles dans la cour du Cirque en
attendant l'heure du supplice. Elles encourageaient ceux que
consternait l'approche de la mort, en leur faisant entrevoir des
espérances plus pures et plus solides que celles de la terre. A ceux
que la séparation de leurs familles et le préjudice causé à leurs
enfants parla confiscation de leurs biens temporels affligeaient
outre mesure, elles leur montraient dans le ciel des parents, des
amis, des trésors impérissables. Le père d'une nombreuse famille
était tombé dans une espèce de désespoir en pensant que ses enfants
allaient devenir orphelins; une des religieuses, touchée de
compassion, tombe à genoux, priant Dieu pour lui, reste pendant une
heure les bras élevés vers le ciel ; sa prière fut exaucée. Le père
de famille sentit renaître sa confiance en Dieu et marcha à
l'échafaud avec une parfaite résignation.
[La relation publiée
par M. d'Hesmivy d'Auribeau contient d'abord une partie des détails
qu'on vient de lire : elle ajoute ce qui suit :]
Parmi les quarante-deux
religieuses qui s'étaient vouées volontairement à la mort, par refus
de prêter le serment de la liberté et de l'égalité, le divin Epoux
en a choisi trente-deux. Les dix qui sont restées gémissent de
n'avoir pu suivre leurs compagnes à la salle des noces. Les juges en
ont absous cinq pour contenter le peuple; et le tribunal ayant été
cassé, les cinq dernières n'ont point été jugées.
L'allégresse que l'on
voyait peinte sur le visage de ces saintes filles après leur
jugement, encourageait les autres condamnés, et leur faisait désirer
la mort. Plusieurs même qui étaient accablés de soucis à cause de
leurs femmes et de leurs enfants, en faisaient le sacrifice de tout
leur cœur, par les douces et pieuses exhortations de ces
religieuses. Elles ont une fois passé demi-heure en oraison, les
bras en croix, pour obtenir les forces au père d'une nombreuse
famille, qui se livrait au désespoir ; et elles eurent la
consolation de l'accompagner au supplice dans les sentiments les
plus chrétiens. — « Nous n'avons pu dire nos vêpres, observèrent
quelques-unes, nous les chanterons au ciel. » — « Oh ! c'est trop
beau, s'écriait la sœur des Anges Rocher ; peut-être que ceci ne
sera pas vrai. » — La sœur converse, Saint-André-Sage, tomba la
veille de sa mort dans une grande tristesse, et dit à une de ses
compagnes : « Je crains que Dieu ne me juge pas digne du martyre.
» — La sœur Saint-Bernard Roumillon faisait depuis longtemps une
prière la sainte Vierge pour mourir le samedi ou un jour consacré
par une de ses fêtes. Elle a obtenu cette grâce ayant été immolée le
jour de Notre-Dame du Mont Carmel. — La
sœur du Saint-Sacrement Just, avait aussi fait la même demande à la
sainte Vierge pendant quinze ans : elle eut le bonheur de consommer
son sacrifice le même jour. « Nous avons, dit-elle en présence de
ses gardes, nous avons plus d'obligations à nos juges, qu'à nos
pères et mères, puisque ceux-ci ne nous ont donné qu'une vie
temporelle, au lieu que nos juges nous procurent une vie éternelle.
» L'un des gardes en fut attendri jusqu'aux larmes, et un paysan
voulut lui toucher la main. L'amour divin dont son cœur était
embrasé, la faisait s'écrier : « O quel bonheur ! Je suis bientôt au
ciel. Je ne puis contenir les sentiments de ma joie ». — La
sœur
Sainte-Françoise, ursuline de Carpentras, disait la veille de son
martyre : « Quel bonheur ! nous allons voir notre
époux ! » — Quelques-unes éprouvèrent d'abord la terreur de la mort
; mais à mesure que le jour du supplice approchait, elles
jouissaient du calme le plus parfait et de la paix la plus profonde.
Des gens d'armes, témoins de leur constance, dirent à d'autres, d'un
ton d'ironie et de blasphème : « Regardez, ces… meurent toutes en
riant ». — « Qui es-tu ? » dit le juge à la
sœur Thérèse
Consolant. — « Je suis fille de l'Eglise. » — « Qui es-tu ? » dit-il
à la sœur Claire du Bas. « Je suis religieuse et la serai jusqu'à
la mort. »
La sœur Gertrude d'Alausier
remercia ses juges du bonheur qu'ils lui procuraient, et baisa la
guillotine en y montant. Le jour de sa mort, elle se trouva à son
réveil, inondée d'une joie extraordinaire, qui lui fit répandre des
larmes. « Je suis dans l'enthousiasme, disait-elle, je suis hors de
moi-même ; il est sûr que je mourrai aujourd'hui ». Mais craignant
ensuite que ce ne fût un effet d'orgueil, on fut obligé de la
rassurer et de la tranquilliser. — La sœur Sainte-Pélagie Bès,
après son jugement, sortit de sa poche une boîte de dragées, qu'elle
distribua à toutes les condamnées comme elle : « Ce sont,
ajoutait-elle, les bonbons de mes noces » ; et chacune les mangeait
avec la joie la plus pure. — La sœur des Anges de Rocher était
encore chez son père, voyant approcher le moment où on pouvait la
mettre en arrestation, demanda conseil à ce vénérable vieillard âgé
de 80 ans, pour savoir si elle devait se soustraire à cette peine :
« Ma fille, lui répondit-il, il vous est facile de vous cacher ;
mais auparavant, examinez bien devant Dieu si vous ne vous écartez
pas de ses desseins adorables sur vous, dans le cas qu'il vous ait
destinée pour être une des victimes qui doivent apaiser sa colère.
Je vous dirai comme Mardochée à Esther : «Vous n'êtes pas sur le
trône pour vous, mais pour votre peuple. » Un conseil si chrétien,
inspiré de Dieu même, fit la plus vive impression sur l'esprit et le
cœur de cette sainte fille. Elle part avec joie et, en récompense
de sa fidélité, le Seigneur lui fit connaître intérieurement le jour
de la consommation de son sacrifice. En effet, la veille de sa mort,
à la prière du soir, elle demanda pardon à toutes ses compagnes, et
leur recommanda instamment de bien prier pour elle, parce que le
lendemain elle serait immolée. Après la lecture de sa sentence de
mort, elle remercia avec une grande satisfaction ses juges, de ce
qu'ils lui procuraient le bonheur d'aller se réunir aux saints
Anges.
6 juillet.
Suzanne-Agathe DELOYE, bénédictine,
sœur Marie-Rose, 53 ans.
7 juillet.
Marie-Suzanne DE GAILLARD, sacramentine,
sœur Iphigénie de
Saint-Matthieu, 32 ans.
9 juillet.
Marie-Anne
DE GUILHERMIER, ursuline, sœur Sainte-Mélanie, 61 ans.
9 juillet.
Marie-Anne
DE ROCHER, ursuline, sœur des Anges, 39 ans.
10 juillet.
Marie-Gertrude DERIPERT D'ALAUZIER, Ursuline,
sœur Sainte-Sophie,
36 ans.
10 juillet.
Sylvie-Agnès DE ROMILLON, ursuline,
sœur Agnès de Jésus, 44 ans.
11 juillet.
Rosalie-Clotilde BÈS, sacramentine,
sœur Sainte-Pélagie, 42 ans.
11 juillet.
Marie-Elisabeth PÉLISSIER, sacramentine,
sœur Saint-Théotiste, 53
ans.
11 juillet.
Marie-Claire BLANC, sacramentine,
sœur Saint-Martin, 52 ans.
11 juillet,
Marie-Marguerite d'ALBARÈDE, ursuline,
sœur Sainte-Sophie, 54 ans.
12 juillet.
Madeleine-Thérèse TALIEU, sacramentine,
sœur Rose de Saint-Xavier,
48 ans.
12 juillet.
Marie
CLUSE, converse sacramentine, sœur du Bon Ange, 32 ans.
12 juillet.
Marguerite
DE JUSTAMOND, bernardine, sœur Saint-Henri, 48 ans.
12 juillet.
Jeanne DE ROMILLON, ursuline,
sœur Saint-Bernard, 41 ans.
13 juillet.
Marie-Anastasie DE ROQUARD, ursuline,
sœur Saint-Gervais, 45 ans.
13 juillet.
Marie-Anne
LAMBERT, ursuline, sœur Saint-François, 52 ans.
13 juillet.
Marie-Anne DEPEYRE, converse ursuline,
sœur Sainte-Françoise, 38 ans.
13 juillet.
Elisabeth VERCHIÈRE, sacramentine,
sœur Madeleine de la Mère de Dieu, 25 ans.
13 juillet.
Thérèse-Marie FAURIE, sacramentine,
sœur de l'Annonciation, 24 ans.
13 juillet.
Anne-Andrée MINUTTE, sacramentine,
sœur Saint-Alexis, 54 ans.
16 juillet.
Marie-Rose
DE GORDON, sacramentine, sœur Aimée de Jésus, 61 ans.
16 juillet.
Marguerite-Thérèse CHARRANSOL, sacramentine,
sœur Marie de Jésus,
36 ans.
16 juillet.
Marie-Anne
BEGUIN-ROYAL, converse sacramentine, sœur Saint-Joachim, 58 ans.
16 juillet.
Marie-Anne
Doux, converse ursuline,
sœur Saint-Michel, 55 ans.
16 juillet.
Marie-Rose
LAYE, converse ursuline, sœur Saint-André, 65 ans.
16 juillet.
Dorothée DE JUSTAMONT, ursuline,
sœur Madeleine du Saint-Sacrement, 51 ans.
16 juillet.
Madeleine
DE JUSTAMONT, bernardine, sœur du Cœur de Marie, 40 ans.
26 juillet.
Marie-Marguerite BONNET, sacramentine,
sœur Saint-Augustin, 75 ans.
26 juillet.
Marie-Madeleine DE JUSTAMONT, ursuline,
sœur Catherine de Jésus, 70
ans.
26 juillet.
Anne
CARTIER, ursuline, sœur Saint-Basile, 61 ans.
26 juillet.
Marie-Claire DU BAS, ursuline,
sœur Claire de Sainte-Rosalie, 68
ans.
26 juillet.
Elisabeth
-Thérèse CONSOLIN, ursuline, sœur du Cœur de Jésus, 58 ans.
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